Les massacres de Troissereux (16 et 18 août 1944)
par Jean-Pierre Besse et Jean-Yves Bonnard
L’origine et les circonstances exactes des massacres de Troissereux ne sont pas encore aujourd’hui clairement élucidées. Selon certaines sources, ces représailles seraient la conséquence de la découverte dans la commune de quatre prisonniers polonais évadés. Rien ne permet cependant d’étayer cette version contrariée par une chronologie des faits complexe et des témoignages contradictoires
L'enchaînement tragique
Dans son édition du 6 septembre 1944, le journal L’Oise Libérée rapporte l’élément déclencheur de la tragédie du 16 août 1944 : « C’est vers 2h30 qu’une attaque fut menée, aux dires des tortionnaires, contre les sentinelles gardant le château Saint-Maurice. Un sous officier avait été, paraît-il, légèrement blessé à la main par un coup de feu et, par ailleurs, une patrouille avait essuyé des coups de feu tirés de la ferme de M. Degroote, maire ».
Bien qu’impossibles à vérifier, ces faits seront suivis d’un enchaînement tragique. Vers 3 heures du matin, les soldats allemands qui occupent le château, pris de boisson pour certains, et craignant une attaque « terroriste » se rendent à la ferme et défoncent la porte. Ils abattent le chien puis tuent le fermier, Jules Degroote (58 ans). Son épouse Berthe (59 ans) et leur fille Suzanne (19 ans), descendues de leur chambre en chemise de nuit, sont abattues peu après. Puis vient le tour de l’ouvrier agricole René Savary (40 ans) et d’Alfred Lenoble (19 ans), pupille de l’assistance, tous deux accourus à l’appel de Mme Degroote.
Entre 5 et 6 heures du matin, les Allemands cernent le village. Trois hommes se rendant à leur travail sont arrêtés, brutalisés et tués d’une rafale de mitraillette. Il s’agit du charcutier Adrien Sonnet (63 ans), de Marcel Pointud (22 ans) et de Gustave Hénaux (53 ans). Puis, tous les habitants de la commune, hommes, femmes et enfants, sont sortis de leur domicile et réunis dans la cour du château. Il est 7 heures du matin. Les hommes sont ensuite rassemblés dans la cour de la ferme Degroote. Les identités sont relevées. Tous les âges, toutes les professions sont représentées : les ouvriers, les commerçants, l’instituteur, le curé... mais aussi des réfractaires au STO. Un seul Français est libre et observe en fumant une cigarette : Julien Delos. Vers 10 heures, les hommes sont séparés en deux groupes : d’un côté, les hommes de plus de 55 ans et les cultivateurs ; les autres, sont alignés le long d’un mur, poings liés derrière le dos. Des fusils-mitrailleurs sont mis en position devant eux.
Vers midi, cinq hommes sont désignés pour charger dans un camion les corps des trois habitants abattus dans les rues et les victimes de la ferme Degroote. L’un d’entre eux, Marcel Lenglet, dont les liens sont mal serrés, parvient à se détacher et fuit. Peut-être en guise d’exemple, vers 13 heures 30, les Allemands abattent les quatre hommes dans la cour de la ferme. Il s’agit de Pierre Hébert (20 ans), de Robert Degroote (22 ans), de Gabriel Douchet (35 ans) et du débitant Charles Régnier.
Les deux camions sortent de la cour emportant les victimes et les otages.
Vers 14 heures, le docteur Joseph Hébert (63 ans), resté sur place, s’élève contre l’assassinat de son fils. Il est exécuté à son tour. Son corps, jeté dans la grange qui sera incendiée, ne sera identifié que le 1er septembre grâce aux boutons de sa veste de chasse et ses leggins.
Les Allemands emportent les chevaux et les vaches puis brûlent les bâtiments de la ferme et la récolte de l’année (blé, orge, avoine). Selon une version des faits, averti de la situation, le feldkommandant de Beauvais vient sur place et parvient à raisonner les soldats présents.
75 hommes de Troissereux considérés comme otages seront conduits à la caserne Watrin de Beauvais. Seize d’entre eux seront remis en liberté dès le lendemain. Les autres (dont Maurice Mantelet et Maurice Groux), employés à boucher les trous des bombes sur les pistes de l’aéroport, ne seront libérés le 19 août, sauvés d’une déportation probable par l’avancée des Alliés.
Les massacres se poursuivent
Troissereux connaîtra d’autres exactions allemandes:
toujours le 16 août, au hameau de Houssoy-le-Farcy, les Allemands abattent quatre prisonniers polonais évadés : Stanislas Racoczy, Ladislaw Stefanowskiw, Ladislaw Sulochaw et Jean Terebeniec. Leurs corps sont transportés à la caserne Agel et sont enterrés sur place.
Dernier acte : le 18 août. Ce jour-là, vers 18 heures, des soldats allemands se baignent nus près de la scierie du moulin de Troissereux. Le gérant, le menuisier Louis Astruc, leur adresse une remarque sur leur manque de tenue devant des enfants. Il est abattu d’une balle dans la tête. Un ouvrier, Anicet de Saint-Riquier, venu s’informer sur la reprise du travail, est tué d’une balle dans la nuque.
Hommages
Début septembre, sur les déclarations d’un détenu de la prison Agel qui avait remarqué des allées et venues anormales dans un coin de la caserne, des recherches sont menées. Les fouilles réalisées là où la terre avait été fraîchement remuée permettront de mettre au jour les corps dénudés des treize massacrés de Troissereux avec, près d’eux, des paquets de vêtements et de chaussures. D’autres cadavres inconnus seront exhumés de cette fosse. Ramenés à Troissereux le 3 septembre, les treize habitants massacrés seront inhumés deux jours plus tard.
Marquée par ces événements, la commune de Troissereux décide de renommer la rue principale « rue du 16 août » et de rendre hommage à ses 19 martyrs, victimes civiles mortes sous les balles des nazis, dans des lieux de souvenirs. Une stèle sculptée par Jean Hébert sera ainsi érigée à l’emplacement du massacre.
TROISSEREUX, A NOS FUSILLES,
par l’abbé Clément, curé de Troissereux
« L’Allemand détestait notre pays de France :
Bien que chez nous, jamais, il n’eut rien à souffrir
De certains éléments de notre résistance ;
De se venger, quand même, il avait le désir.
Dédaignant avec nous, la lutte, face à face.
Depuis un certain temps, et partout et toujours,
Il croyait entrevoir des gestes de menace ;
Et sa nervosité grandissait, tous les jours.
Comme le chien hargneux qui trop souvent aboie
Jappe à tout étranger en lui montrant les dents,
Quand il est dans sa niche en dévorant sa proie,
Chaque occupant s’énerve aux moindres incidents.
Il entrevoit partout et jusque dans la rue
La haine du passant lui causant un défi.
Il se croit pourchassé : tout lui blesse la vue
Pour lui, chaque Français est d’un groupe FFI.
Il devient furieux contre les réfractaires
De la déportation et des travaux forcés
Il prend des jeunes gens, soi-disant volontaires,
Pour les traiter chez eux, en pauvres déportés.
Les témoins apeurés de cette tragédie
Après avoir subi des tourments inhumains
Victimes de la force et de la tyrannie
Vont supporter là-bas de cruels lendemains.
En ce jour du 16 août, choisis comme victimes,
Trois pauvres Polonais, au hameau de Houssoy
Sont aussi fusillés : chez nous, ces nouveaux crimes
Ne firent qu’augmenter notre terrible émoi.
Oh ! quelle triste fin ! ils étaient de passage
Tous trois venus de loin pour se ravitailler
Les voilà brusquement arrêtés comme otages
Pour les fouiller d’abord, puis pour les fusiller (…) »
Le monument aux 19 martyrs de Troissereux ne mentionne pas les noms du docteur Hébert et de son fils. Déplacé d’une vingtaine de mètres pour être placé dans un espace commémoratif près de l’église, il est inauguré le 22 janvier 2011, en présence de Maurice Groux et d’Hubert Mantelet, rescapés du massacre, d’élus et de Jean-Claude Decaux, mécène de cette opération.
Plaque du cinquantenaire
des massacres.
Ce mobilier urbain
près de la sculpture
rappelle la tragédie de Troissereux.