1940 Armistice

L'armistice du 22 juin 1940
par Jean-Yves Bonanrd

La victoire des armées allemandes lors de la Campagne de France de 1940 est l’occasion pour le chancelier du Reich de se venger des vexations ressenties lors de l’armistice de 1918. Le sentiment d’humiliation suscité par la mise en scène provocatrice de la Clairière de l’Armistice a sans doute alimenté une rancœur contre le peuple français qui ne demandait qu’à s’exprimer. Aussi, lorsque le maréchal Pétain entame les pourparlers d’armistice, Adolf Hitler impose comme lieu de rencontre l’inévitable forêt de Compiègne.
Un contexte dramatique
Face à l’avancée allemande, le gouvernement quitte Paris pour Tours le 10 juin. La situation devenant intenable, le 12 juin, le général Weygand ordonne la retraite générale.
Dès lors, le gouvernement se divise sur le sort du pays : faut-il conclure la guerre par un armistice, comme le soutient Pétain et Weygand, ou faut-il poursuivre la guerre en s’appuyant sur l’Afrique du Nord et l’Angleterre, comme le proposent notamment Mandel et de Gaulle.
Le 14 juin, le gouvernement gagne Bordeaux. Le jour même, les forces allemandes défilent dans Paris déclarée ville ouverte et l’Italie entre en guerre contre la France.
Face au désastre annoncé, la proposition de Chautemps emporte la majorité : demander les conditions d’armistice à l’Allemagne tout en embarquant pour le Maroc des membres du gouvernement qui pourraient poursuivre la lutte en cas d’échec des pourparlers.
Le 16 juin, les troupes allemandes franchissent la Loire. La débâcle de l’armée française est consommée. Le soir même, mis en minorité au sein de son gouvernement sur sa proposition de poursuivre le combat depuis l’Afrique du Nord, le président du Conseil Paul Reynaud donne sa démission. Le général de Gaulle décide alors de rejoindre l’Angleterre pour poursuivre la lutte.
Rallié à la thèse de la cessation des combats, le président de la République Albert Lebrun charge le maréchal Pétain de constituer un nouveau gouvernement. Ce dernier, par l’entremise de l’Espagne, demande un armistice à l’Allemagne et ses conditions de paix. Le lendemain, 17 juin, à 12h20, le « vainqueur de Verdun » s’adresse aux Français dans  une déclaration radiodiffusée.

L’appel à la Résistance du général de Gaulle, lancé sur les ondes de la BBC le 18 juin, n'est pas écouté dans l’Oise évacuée, mais certains isariens en fuite sur les routes de l’exode disent l’avoir entendu…
« Français !
A l’appel de M. le président de la République, j’assume à partir d’aujourd’hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l’affection de notre admirable armée, qui lutte avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires contre un ennemi supérieur en nombre et en armes, sûr que par sa magnifique résistance elle a rempli son devoir vis-à-vis de nos alliés, sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.
En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés, qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités.
Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n’écouter que leur foi dans le destin de la patrie. »
Le choix de Compiègne
Le chancelier Hitler est informé de la requête française dans son quartier général du Ravin du Loup (Wolfsschlucht), à Brûly-de-Pesche (Belgique). Goebbels, son ministre de la propagande, lui aurait alors suggéré de signer l’armistice sur les lieux mêmes de celui du 11 novembre 1918, dans la célèbre clairière de Compiègne, près de la gare de Rethondes.
L’idée fait son chemin, véritable revanche sur le passé. Le chancelier Adolf Hitler décide de se rendre en personne sur le site de la clairière. Il est parvenu à mettre la France à terre. Sa vengeance est bientôt consommée.
Le commandement allemand travaille à la rédaction des conditions d'armistice tandis qu'Hitler peaufine un préambule qu'il entend imposer à ses adversaires.
Le voyage vers l'inconnu de la délégation française
Toujours sous la pression de l’avance allemande, le gouvernement Pétain désigne ses représentants dont la liste est adressée le 20 juin à l’Allemagne via l’ambassade d’Espagne en France.
La délégation française quitte Bordeaux à 14h30 et parvient à Paris le lendemain, 21 juin, à 7h30, après avoir affronté de nombreuses difficultés au passage des lignes  allemandes.
Installée à l’hôtel Royal-Monceau, la délégation est réduite à quatre hommes à la demande du Reich. En début d’après-midi, le général d’armée Charles Huntziger, l’ambassadeur de France Léon Noël, le général de l’Air Jean Bergeret et le vice-amiral Maurice Le Luc quittent Paris en automobile vers une destination d’abord inconnue qui devient évidente lorsqu’ils franchissent les portes de Compiègne.
La préparation de la mise en scène
Pendant ce temps, dans la Clairière de l’Armistice, la troupe allemande s’active aux préparatifs de la cérémonie : la voiture restaurant 2419D du Maréchal Foch est sortie de son abri-musée par sa façade principale percée au marteau-piqueur et partiellement minée par les pionniers allemands, puis déplacée sur son emplacement historique.
Le monument des Alsaciens-Lorrains, emblématique de la défaite allemande, est recouvert de drapeaux nazis.
A contrario du maréchal Foch qui, en 1918, avait ordonné la discrétion absolue sur les pourparlers d’armistice, Goebbels tient à ce que l’événement soit mis en scène et largement médiatisé.
Le long de l’avenue de la Victoire, les gardes SS défilent devant les objectifs photographiques et cinématographiques du service de la propagande allemande et de la presse notamment américaine.
L'arrivée d'Hitler
Ce vendredi là, le temps est au beau. Vers 11h30, Hitler quitte son QG du Ravin du Loup pour se rendre à l'aérodrome du Gros Caillou à Regniowez. Là, sept trimoteurs junker 52 emportent le chancelier allemand et sa délégation vers l'Oise. Hitler  atterrit sur l’aérodrome de Corbeaulieu où attend une torpédo militaire Mercedes-Benz. Après avoir franchi l’Oise en bateau, le chancelier traverse Compiègne en ruines, salué par la troupe en armes.
Il déjeune probablement dans la maison du baron de Soultrait, face à la sous-préfecture qu'il quitte à 15h00 pour se rendre à la Clairière. Arrivé à 15h15, il reçoit les honneurs de la troupe et arpente les lieux avec la délégation allemande constituée du commandant en chef Wilhelm Keitel, Rudolf Hess, le Maréchal Hermann Göring, le grand amiral Erich Raeder, Joachim von Ribbentrop, le général Walther von Brauchitsch et le chef d'Etat-Major Alfred Jodl.
Le führer contemple l’immense drapeau à croix gammée recouvrant le monument aux Alsaciens-Lorrains. L’allée principale est bordée par deux détachements de sa garde SS, au garde à vous. Hitler marche sur les pas de ses prédécesseurs qui, vingt-deux ans plus tôt, avaient signé la fin des combats et avec elle la fin d’une certaine Allemagne.La visite est filmée par les services de propagande nazis. Le führer s’avance, parle avec Goering.
Face à lui, le wagon qu’ont sorti de son abri deux jours plus tôt les sapeurs allemands. La voiture-salon a été placée sur l’emplacement qu’il occupait le 11 novembre 1918. Hitler toise de sa hauteur la dalle sacrée au pied de laquelle a été planté un drapeau nazi.La délégation pénètrent alors dans la voiture du 2419D et Hitler s'installe à la place du maréchal Foch.
Le préambule aux négociations
Vers 15h30, la délégation française nommée par le général Weygand prend place dans la voiture à son tour. Elle reçoit le préambule des négociations lu en allemand par Keitel et traduit par l’interprète Paul-Otto Schmidt :
« Le 3 septembre 1939, vingt-cinq ans après l’ouverture des hostilités de la guerre mondiale, la France et l’Angleterre ont, de nouveau et sans le moindre motif, déclaré la guerre à l’Allemagne. Or les armes viennent de prononcer leur verdict. La France est vaincue. Le gouvernement français a prié le gouvernement allemand de lui faire connaître les conditions de son armistice.
C’est dans le même wagon que commença le calvaire du peuple allemand.
Si, pour la remise de ces conditions, la forêt de Compiègne a été choisie, cela s’explique par la volonté d’effacer, une fois pour toutes, par un acte de justice réparatrice, un souvenir qui ne fut pas pour la France, une page glorieuse de son Histoire et qui fut ressenti par le peuple allemand comme la honte la plus profonde de tous les temps.
La France est vaincue. Le but de l’Allemagne est d’empêcher une reprise des hostilités, d’offrir aux armées du Reich toute sécurité pour poursuivre la guerre contre l’Angleterre… ».

A la fin de cette lecture, Hitler, qui n'a pas dit un mot, se lève, salue l'ensemble des représentants. Le texte du préambule est alors distribué et le chancelier quitte les lieux avec la délégation allemande, au son du Deutschland über alles joué par la fanfare. Dans la voiture-restaurant, la délégation française est au garde-à-vous durant l'hymne allemand, puis, abasourdi,  commence ses travaux.

Le chancelier est alors conduit  à Compiègne dans l’hôtel particulier qu’avait réquisitionné le général Blaskowitz, gouverneur militaire du nord de la France. Il regagne la Belgique vers 20 heures après avoir visité Urcel, où il examine un char B1, et la cathédrale de Laon.
Les pourparlers commencent
Resté sur place, Keitel présente la convention d’armistice, constituée de 24 articles. La délégation française est conduite dans une tente à 15h50. Huntziger contacte Weygand à Bordeaux témoin de l'armistice signé par Foch en 1918. Quand le général en chef apprend que ses représentants sont en forêt de Compiègne, il ne peut réprimer un "Mon pauvre ami".
Toutes les conversations sont enregistrées et face à l'avancée allemande, les termes de l'armistice sont acceptés dans leur ensemble. La délégation française ne sort de la tente qu’à 18h00 pour rejoindre Jodl dans la voiture du maréchal Foch.

Vers 20h00, Huntziger obtient l’autorisation de téléphoner à Weygand avec qui il s’entretient longuement. Transmise au conseil des ministres, la convention d’armistice est ressentie comme sévère à l’égard de la France mais acceptable: si la démobilisation et le désarmement des forces armées françaises sont imposés, le maintien d'une armée de 100 000 hommes pour le maintien de l'ordre est accepté. Le sort des prisonniers français sera défini lors de la signature du traité de paix.
La France est divisée par une ligne de démarcation séparant la zone occupée de la zone libre où le gouvernement français demeure souverain. Les frais d'entretien des troupes d'occupation sont à la charge du Gouvernement français. Si l'Empire colonial français et la flotte sont préservées, cette dernière devra être désarmée, démobilisée et regroupée dans les ports.

Les pourparlers menés par Huntziger durent toute la journée du 22 juin et, à 17h36, moins d’une heure avant la fin de l’ultimatum fixé par Keitel, la convention d’armistice est signée. Il est temps, l'armée allemande entre ce jour-là à Saint-Nazaire, Niort et Clermont-Ferrand. Cette convention reste cependant suspendue à la signature d’un armistice avec l’Italie et n’entre en vigueur que le 25 juin, à 00h35. Sa bonne exécution sera suivi par une commission d'armistice siégeant à Wiesbaden et à Turin. Une grande majorité de Français saluera la signature de l'armistice, la cessation des combats et le retour au foyer... Une autre page d'histoire s'ouvre alors.
Sources:
Bonnard Jean-Yves, Le jour où l'Histoire s'est arrêtée, Ed. du Trotteur ailé, 2008.
Pilot Marc, L'armistice de 1940, in Mémoires des guerres Compiègne Royallieu 1918-1940-2012, Annales Historiques compiégnoises n°127-128, 2012.
Poirmeur André, Compiègne 1939-1945, Telliez, 1968.
Site http://www.musee-armistice-14-18.fr
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