Erquinvillers en juin 1940
par Jean-Yves Bonnard
Le 5 juin 1940, à l'aube, les forces allemandes lançaient l'offensive sur la ligne Weygand établie derrière la Somme. Le dispositif défensif français céda le lendemain entre la mer et Amiens mais aussi entre l'Aisne et l'Oise. Le 7 juin, la dislocation de la 10e Armée face aux coups de boutoir allemands permit aux Panzers de s'ouvrir la route de Rouen. L'ordre de repli de la 7e Armée et d'une partie de la 10e Armée française derrière l'Oise fut alors donné. Sur le plateau picard, 1ère Division Cuirassée et certaines troupes coloniales (4e DIC) reçurent l'ordre de couvrir la retraite du 1er corps d'Armée.
Le 34e BCC dans la tourmente
Le 8 juin, la 10e Panzer Division venant de Saint-Just-en-Chaussée poursuivit sa progression sur la RN16 (actuelle RD916) entra à Erquinvillers, petit village de 85 habitants, et se heurta aux troupes françaises du 94e RAM qu'elle fit prisonnières.
Après avoir planté un drapeau nazi piégé par une mine, les Allemands se retirèrent provisoirement. En position à Maignelay-Montigny, le 34e Bataillon de Chars de Combat (34e BCC), constitué de chars légers R35 (Renault), reçut l'ordre le 9 juin à l'aube de se porter sur la rivière Arré entre Saint-Just-en-Chaussée et Clermont pour tenir tête à l'ennemi.
Devancé par les Allemands, le 34e BCC affronta des éclaireurs à Ravenel (vers 5 heures) puis les chars du 7e régiment de Panzer et une défense antichars retranchés dans la Ferme de la Folie entre Lieuvillers et Erquinvillers. L'engagement décima le 34e BCC qui dut décrocher par Cressonsacq en début d'après-midi. Le bataillon perdit vingt-deux chars, dix tués et une quinzaine de blessés dans cette action.
Combats et massacres
En fin d'après-midi du 9 juin, la 4e Division d'Infanterie coloniale (4e DIC), constituée du 2e Régiment d'Infanterie Coloniale (2e RIC), du 16e Régiment de Tirailleurs Sénégalais (16e RTS), du 24e Régiment de Tirailleurs Sénégalais (24e RTS) et du 12e Régiment d'Artillerie Coloniale (12e RAC), prit position à Angivillers mais s'y trouva encerclée.
Coupés de leur poste de commandement, les colonels présents décidèrent de se replier en passant en force sur deux axes : Cressonsacq et Erquinvilliers passé aux mains allemandes. Un bataillon du 24e RTS, des tirailleurs marocains, des éléments du 12e RAC et du Génie de la 4e DIC gagnèrent Erquinvilliers dans la nuit, combattant maison par maison. Au matin du 10 juin, les Allemands reprirent l'offensive et firent prisonniers de nombreux hommes de la 4e DIC. Certains d'entre eux furent massacrés par les Allemands, comme le furent les tirailleurs à Cressonsacq. Les autres furent dirigés vers SaintJust-en-Chaussée pour être envoyés dans des stalags en Allemagne.
Des commémorations précoces
Quelques semaines plus tard, un cimetière militaire regroupant 130 combattants de la 4e DIC fut aménagé à l'entrée d'Erquinvillers sous l'autorité du maire M. Manceron.
Quelque temps après, le lieutenant de réserve Pierre Proust, ancien du 12e RAC revenu à Paris, organisa un pèlerinage à Erquinvillers avec plusieurs anciens de la 4e DIC demeurant comme lui en région parisienne. Cette cérémonie se déroula le 9 juin 1941 et fut marquée par la bénédiction du cimetière par Mgr Roeder, évêque de Beauvais.
Les anciens de la 4e DIC revinrent en pèlerinage en 1945, 1946 et 1947. Les corps furent ensuite soit restitués aux familles, soit regroupés dans la nécropole nationale de Cambronne-les-Ribécourt créée en 1950.
La commune d'Erquinvillers reçut la Croix de guerre 39/45 le 21 juin 1950 avec la citation suivante: “Commune particulièrement éprouvée, dont la presque totalité des immeubles a été détruite par les Allemands par mesure de représailles à la suite de la résistance rencontrée dans le village défendu par les éléments d'une Division d'Infanterie Coloniale. Dès leur entrée au village, les habitants ont participé volontairement et spontanément à l'identification et à l'inhumation des soldats “Morts pour la France”."
Une rue de la commune porte le nom du 34e Bataillon de Chars et une autre fut nommé rue des Tirailleurs sénégalais.
Un monument fut érigé à l'entrée de la commune près de l'emplacement de l'ancien cimetière militaire et fut intégré dans le circuit des Tirailleurs mis en place par Picardie Mémoire.
Le monument en l’honneur du 34e BCC
entre Erquinvillers et Lieuvillers.
Robert Bassac (1910-1940)
Comédien d'origine niçoise, il joua dans quatre films de Marcel Pagnol (il fut l'instituteur dans “La femme du boulanger ”). Engagé volontaire, motocycliste au 81e RANA, il fut mortellement blessé par une mitrailleuse le 8 juin 1940 à Erquinvillers. Très croyant, ses derniers mots furent : “J'offre ma vie à ma famille, pour la France, pour mes copains. J'offre ma vie en union avec le sacrifice du Christ.”
Moïse Bébel (1898-1940)
Originaire de Trois-Rivières (Guadeloupe), militaire de carrière, ce capitaine du 24e RTS participa à la défense d'Erquinvilliers dans la nuit du 9 au 10 juin 1940 face à la 9e Division d'Infanterie allemande. Fait prisonnier, il fut abattu à la mitrailleuse avec une cinquantaine de ses hommes.
Monument en l’honneur du 4e RAC
à l’entrée du village d’Erquinvillers.