1940 Exode Valois

Habitants du Valois-Multien sur les routes de l'exode
mai - juin 1940

par Thierry Abran

Au sud-est du département de l'Oise, les cantons ruraux de Nanteuil, Betz et Crépy-en-Valois se vident de leurs habitants en deux vagues successives. La première évacuation a lieu du 22 au 25 mai 1940 et pousse les habitants à prendre la route en direction du sud en compagnie de réfugiés venant pour beaucoup du Havre. Mais, ce n’est qu’une fausse alerte et finalement, au bout de trois à quatre jours, l’exode prend fin, pour une population qui n’est pas allée au-delà des frontières départementales ou, tout au plus en Seine-et-Marne.
La deuxième évacuation, plus longue et plus lointaine pousse les Valoisiens en dehors de l’Oise vers le sud et l’ouest, selon les directives préfectorales, notamment vers le Morbihan. Elle a lieu entre le 9 et le 19 juin.  La fuite éperdue des réfugiés a pour but de passer la Loire et d’éviter les griffes de l’ennemi qui les talonne. Franchir le pont de Gien, de Montargis et d’autres cités ligériennes devient alors une obsession que rendent nécessaires les mitraillages des stukas qui sèment la terreur et la mort dans les convois.
Mais, après des jours de marche dans des conditions de voyage éprouvantes, force est alors de constater que l’ennemi les a rattrapés voire dépassés. Rien ne servait plus alors de courir, il fallait faire le voyage de retour la mort dans l’âme. D’autres, plus chanceux ont pu, plus promptement, en train ou en voiture rejoindre famille et amis dans le sud et l’ouest.
Quelques acteurs de cet épisode de la guerre ont accepté de témoigner. Beaucoup étaient encore des enfants ou des adolescents, marqués à jamais par la peur, le désarroi et l’incompréhension (d’où des approximations que l’historien corrigera). En voici quelques extraits.



Télégramme annonçant l'évacuation du Valois vers le département du Morbihan, 9 juin 1940,
Arch. départ. Oise
Témoignage de Robert Michon, 13 ans,de Boissy-Fresnoy
« J’étais en pension au collège St-Joseph de Pont-St-Maxence et, au moment où ça allait mal, je suis revenu ici à Boissy. Puis on est parti en exode. On devait retrouver ma mère et mes sœurs qui étaient parties mais on ne les a pas retrouvées. Puis, mon père a acheté un tandem et on est revenu tous les deux en tandem avec sur le porte-bagages une boîte à gâteaux dans laquelle on mettait nos victuailles. Au hasard des villes qu’on a traversées, il y avait des ponts qui avaient sauté et des cadavres d’Allemands étalés autour. Pendant l’Exode, j’ai vu, vers Melun des voitures abandonnées car il n’y avait plus d’essence et de beaux avions Potel 63 au beau milieu d’un champ, abandonnés eux aussi. Ils n’avaient pas tellement volé, ils étaient tout neufs. »

Témoignage de Jacques Boucher, de Boissy-Fresnoy
« Après un bref retour à Boissy, il a fallu repartir, pour Gien, cette fois-ci, durant une quinzaine de jours. Les bombardements étant incessants, il fallait se mettre à l’abri dans les fossés et y dormir également. Avant d’arriver à Gien, la famille s’est arrêtée dans un pré, à proximité d’une gare où un camp avait été monté. Arrivée au terme de ce voyage forcé, la famille Boucher s’est logée à Gien dans le sous-sol d’une maison.
Au retour de cet exode, toute la famille est revenue à Boissy et a découvert que leur maison avait été pillée. Dans la rue de l’épicerie, il ne restait plus que très peu d’habitants. Il a fallu alors recommencer à zéro. »

Témoignage de Jean de Besombes, 12 ans, de Rouvres-en-Multien
« Nous, nous n’avons pas évacué avec le village mais à part. Tout le monde est parti à part le berger qui a été tué à l’Orme entre Thury-en-Valois et Mareuil sur Ourcq. Nous étions une famille nombreuse de huit. Et quand mon père, au mois de mai 1940 a senti que le moment était venu, on est parti chez un oncle à Angerville et de là, dans le midi dans de la famille, au Rozier ; au Nord de Toulouse dans une propriété qui appartenait à des cousins germains et qui pouvaient nous loger car on arrivait quand même nombreux. Comme j’étais l’aîné, je faisais la navette avec ma mère pour aller voir mon père. Ce qui m’a frappé alors que j’étais enfant c’était de voir des parents pleurer. Quitter la ferme, tout ouverte, les vaches dehors. La première étape était Melun puis Etampes puis Le Rozier. J’ai assisté à la première évacuation le 22 Mai jusqu’à St-Soupplets et sommes revenus le jour même, ou le lendemain et, à la deuxième trois semaines après ; le 9 juin et les habitants sont revenus le 30 Juin. Ils sont allés jusqu’à la Loire à Françay (à 20 km à l’Ouest de Blois près d’Herbault). Les chevaux avaient fait 222 kms en 6 jours ! Et il y avait près de 10 tracteurs à chenilles ! des chenilles plates qui sur la route faisaient des bruits de tanks ! Ils n’ont pas pu passer la Loire car le pont de Gien avait sauté. Avant de partir, on avait enterré tous les poteaux indicateurs. Autre anecdote, on a enterré tous les fûts de vin, ici il y avait des barriques de 300 litres, on a enterré de la vaisselle, qu’on a retrouvée au retour. Mon père est resté au village à la ferme avec un vieil invalide retraité et comme il était adjoint du maire Hurand, le principe était de ne laisser personne derrière. Il a connu toute la guerre ici. »

Témoignage de Denise Rateaux, 12 ans, de Crépy-en-Valois
« Pendant la Seconde Guerre Mondiale, nous habitions, mes parents et moi au 22, rue Jeanne d’Arc à Crépy-en-Valois, à côté de la « Coop’ ». Mon père était mobilisé et nous avons dû évacuer par le train, maman, ma grand-mère et mes tantes. Nous sommes allés dans les Deux-Sèvres d’où était originaire mon grand-père. On y est resté de mai à juillet 1940. A notre retour, papa était rentré, démobilisé, d’Yvetot. Il est rentré avec mon oncle à vélo. Il n’y en avait qu’un pour deux ! En rentrant, papa a retrouvé la maison…brûlée ! Une bonne partie de la rue Jeanne d’Arc a été brûlée par les bombes incendiaires. Pendant les alertes, nous allions nous réfugier dans un abri situé dans la propriété du Couvent des Ursulines. Une porte donnait sur la rue juste avant la Poterne St Arnoult. Il y avait un autre abri plus bas dans le rempart extérieur où les gens accédaient par la sente passée la poterne. De mémoire, il était réservé à ceux qui avaient des poussettes, des landaus. J’avais douze ans à l’époque. »

Témoignage de Simon Nowakowski, 8 ans, de Betz
« Nous l’avons vécu en 2 fois avec un intervalle de 15 jours environ. La première fois nous sommes allés à St-Soupplets. Nous ne sommes pas partis en même temps que les chevaux. Nous habitions dans la ferme Duchesne à Betz. Mon père était vacher et M.Duchesne qui habitait la maison bourgeoise qui donne sur la rue Beauxis-Lagrave, avait un tracteur mais son chauffeur Jacques Arnoux avait été mobilisé. Mon père a pris le tracteur, on a pris nos valises, quelques affaires de M.Duchesne. On avait ordre de faire escale à St-Soupplets dans la famille Boisseau (de la famille Hamelin). On est arrivé le soir et le lendemain, on a appris que c’était une fausse alerte et qu’il fallait qu’on rentre.
Quinze jours après, nous sommes repartis en charrette vers le 15-16 Juin si je ne me trompe pas. Entre temps, mon père avait été mobilisé dans l’Armée Polonaise.
Je me souviendrai toujours, on passait dessous le chemin de fer avec mon oncle, nous sommes partis en charrette avec lui, elle était pleine car il y avait plusieurs familles et nous avons atterri à Melun. Là, on s’est fait mitraillés sous les peupliers et on s’est couchés sous les charrettes. On a déchargé les charrettes et on a pris le train, des wagons à bestiaux direction Vannes où on a été dans un camp ; le camp de Meudon (situé dans le parc du château de Meudon à quelques kilomètres de Vannes) où nous sommes restés quelques jours. De là, nous sommes allés à Malestroit (certainement au Couvent des Augustines) dans le centre de la Bretagne. Mais comme les Allemands s’approchaient, on nous a évacué à Pénestin, à l’embouchure de la Vilaine.
Mon père était mobilisé et on ne savait pas où il était. Lorsque nous sommes revenus au bout de 2 mois, je revois la ferme avec de la paille haute comme ça, la vieille machine à coudre Singer de Maman dans la cour. Les Evacués du Havre avaient pris possession de Betz et de Lévignen. C’était le chantier dans la maison ! Et quelle surprise : mon père était revenu ! En réalité il était à Coëtquidan pour passer en Angleterre, mais il n’a pas eu le temps de partir ; les Allemands sont arrivés. Il a été fait prisonnier quelques jours et s’est évadé et ensuite il est revenu à pieds jusque Betz. En cours de route, il a acheté un vélo.... »

Témoignage de Liliane Camus, 6 ans, de Lévignen
« Durant l’Evacuation, nous sommes allés dans l’Yonne avec ma famille. Mon père avait pris un tombereau avec des chevaux et on était partis comme ça. Il y avait Mme Dufour et sa fille. On avait placé des affaires dans un placard et collé du papier dessus pour que les Allemands ne sachent pas qu’il y avait quelque chose. »

Témoignage de Jean-Claude Santandrea, 8 ans, de Lévignen
« Je me souviens qu’on a traversé la Loire et qu’on est allé à Guéret dans la Creuse. Nous y sommes allés en voiture avec celle de mon père. Mon père était italien et ma mère de Bresle près de Beauvais. Lui était mécanicien chauffeur à la sucrerie de Vauciennes. »

Témoignage de Pierre Garnier, 7 ans, de Bargny
« A cette époque, j'avais 6-7 ans. On a évacué une première fois entre Meaux et Coulommiers à Bouleurs. Puis, la deuxième fois jusqu'à Gien. On a regroupé les vaches dans une pâture et des soldats français sont passés chez nous et se sont occupés des bêtes. Je ne sais où ils allaient. On est partis avec des chevaux, mon grand-père étant cultivateur. On avait emporté du matériel, des meubles dans des charrettes. Mon grand-père avait fait une cage au-dessous de la charrette pour y mettre des poules. Maman conduisait la C4 et, faute de carburant, on l'a attaché derrière la charrette pour la tracter. En chemin, on a été mitraillé et le pont de Gien a sauté. On a eu juste le temps de passer, sinon on aurait sauté avec. On nous a dit d'aller à Gien car on ne pouvait aller n'importe où. Les Allemands nous doublaient ! Quand j'y pense, c'était incroyable »
                                                
Témoignage de Guy Provost, 6 ans, de Marolles
« Un de ces soirs du printemps 1940, on a été survolé par des avions allemands très bas. Ma grand-mère a dit « on va y avoir droit demain ». Et en effet, Marolles a eu son premier bombardement qui visait la voie ferrée. A la déclaration de guerre en 1939, on avait fait des tranchées autour de l’église. J’avais alors 6 ans et c’était ma première rentrée scolaire à Marolles. On allait dans ces abris et, comme jadis ce lieu avait été un cimetière, on revenait en classe avec des osselets et on se faisait taper sur les doigts par l’instituteur M. Mousset !
Tous les habitants de Marolles s’étaient réfugiés à Nimer dans une ancienne champignonnière. Tout le village y a été logé et la promiscuité m’a beaucoup frappé. On ne sortait pas car nous étions bombardés sans cesse et c’est encore mon grand-père, fort de son expérience de la Grande Guerre, qui sortait à une certaine heure avec son vélo pour aller chercher du pain à la Ferté-Milon, jusqu’au jour où il a fallu partir. C’est là qu’à la ferme, les anciens sont allés chercher les chevaux, les charrettes et nous sommes partis. Je me souviens qu’on a été mitraillés dans le chemin du bois de Bourneville. Je me vois encore sur la charrette au milieu des ballots de linge. A six ans, on se souvient bien. C’était autour du 15 Mai 1940. Dans un village, je ne me souviens plus lequel, ma mère est arrivée avec un ancien de Marolles, un dénommé Leroy, qui avait une voiture et qui nous a pris. On s’est retrouvé à Paris, mon frère et moi. A Marolles, seul est resté un monsieur, M. Charpentier, qui au temps où nous étions dans la carrière de Nimer et pendant l’Exode, s’occupait des bêtes et des lapins de tout le village. Ensuite, avec mon frère, on nous a envoyé dans une branche de la famille dans la Sarthe. Nos parents venaient nous voir tous les 15 jours. Nous sommes vite revenus à Paris, traumatisés. On pleurait, on pleurait ! Aussi, notre adaptation à Paris fut elle difficile. Mon père a été fait prisonnier en 1940 à Sainte-Ménéhould et a été déporté dans un stalag où il a été infirmier, lui le charcutier ! Cela l’amusait beaucoup en y repensant. »

Témoignage de Léocadie Pacesny, 10 ans, de la Ferme de Nogeon à Réez-Fosse-Martin
« Nous avons évacué une première fois avec des chevaux et des tombereaux que nous utilisions pour la moisson. Tout Nogeon est parti avec, en tête du convoi, M.Boufflerd (patron cultivateur) qui, avec sa voiture ouvrait la route et qui s’est toujours occupé de nous. Derrière, il y avait un tracteur, puis les Zavatski, à coté ; les Guebwalski, les Pirkowski qui eux, étaient déjà âgés. Lui, était charretier donc il y avait trois ou quatre chevaux. Ils sont partis avec leurs deux filles qui avaient bien 19 ans. Je me souviens que Mme Pirkowski faisait pipi dans le tombereau tandis que son mari buvait. Du coup, les chevaux partaient dans tous les sens !  Nous avons pris des couvertures parce qu’il fallait dormir la nuit. Je suis partie avec maman et mes sœurs.
Au deuxième exode, on est allé vers Orléans. Dans les forêts aux alentours, on abattait des arbres. Je me souviens qu’à un moment, maman et mes sœurs étaient descendues du tombereau et je décidai de m’allonger sur mon oreiller. D’un seul coup, une balle m’est passée devant ! Je suis tout de suite descendue en pleurant. J’avais dix ans et j’avais eu la peur de ma vie. Nous ne sommes pas allés plus loin et avons rebroussé chemin. M.Boufflerd nous trouvait du pain tandis que nous faisions du thé dans un faitout. On y ajoutait le pain. Parfois, si on arrivait à voler une poule, on la mettait dans un sac et je la tuais contre un mur ou dans l’eau…Qu’est-ce qu’on s’est fait disputer par les Allemands ! Les filles descendaient parfois de charrette pour conduire les chevaux. Mais, globalement, ils ne nous ont pas fait de mal. Sur le retour, on s’arrêtait dans les fermes, on dormait dans les ballots récemment moissonnés. On a mangé du pain qui était moisi, ce n’était pas très bon. Nous, les enfants, on jouait à cache-cache. Puis, on est rentré à Nogeon où nous avons retrouvé des chevaux tués et tout le monde a repris ses activités et retrouvé sa maison. Ensuite, ce fut l’Occupation. »

Témoignage de Marie Lukazierwicz, 14 ans, de Cuvergnon
« On a évacué une première fois à Vineuil-St-Firmin pendant trois jours, puis en juin 1940, on est partis jusqu’à la Loire, c’est-à-dire le moment où on a rencontré les Allemands. Tout le village est parti sauf le charron qui n’a pas voulu. Il y avait tous les ouvriers agricoles et M.Boulay qui avait une voiture et qui était boulanger à la retraite. Les Ancellin aussi en avaient une. On avait préparé les chevaux et des grands chariots à quatre roues. On avait des cages pour emporter des volailles que l’on accrochait au-dessous des chariots. On avait pris des matelas. Au bout de quelques kilomètres, on s’arrêtait pour donner du fourrage aux chevaux. On trouvait des volailles dans les fermes désertées. On faisait un feu avec quatre briques pour cuire nos aliments. Sur la Loire, les Allemands étaient de l’autre côté du pont. Alors, on est revenus, étape après étape. Je ne sais plus combien de temps on est partis. On a vu passer des avions, mais on n’a pas été visés. Durant l’Exode, on dormait n’importe où, dans les arbres, par terre… On restait une nuit et le lendemain, on repartait. On avait emmené du ravitaillement, mais généralement on en trouvait sur place.

Témoignage de Jeanine Lucet, 9 ans, de Rouvres-en-Multien
« Oui, j’ai connu l’Exode et vous savez quand on a 9 ans et qu’on n’a jamais voyagé et que vous partez comme ça, loin, dans des circonstances extraordinaires...oui, on s’en souvient. Du moins, des sensations d’enfant. Du moins je crois, avec une part de vérité mais aussi de déformation avec le temps que ça a dû être très organisé. Je pense que chaque village avait son point de chute en théorie. Et si je ne dis pas de bêtise, ce point de chute devait être vers l’Ouest...Bretagne ? enfin je ne sais pas où. Enfin, je ne sais si c’est l’avance des troupes allemandes ou je ne sais quoi d’autre, mais on est allé vers le sud... Mon père était soldat, il était né en 1900, il avait donc 39 ans et avait été mobilisé dans les troupes de réserve et était dans une gare de triage qui devait être Laon où il tenait un petit mess pour les soldats pour qu’ils puissent se restaurer. Moi, j’étais avec ma mère, étant enfant unique. Et comme elle était sûre de l’endroit où Rouvres devait aller, pour me faciliter la vie, m’a confié à une famille amie qui avait une voiture. Il y avait très peu de voiture en 1940 ; il y avait les agriculteurs, les artisans et les commerçants. Elle m’a confié à l’entrepreneur de maçonnerie de l’époque M. MARIET parce que dans sa voiture, ils n’étaient que 3. J’ai fait la 4ème. Donc, je suis partie avec eux, mais pas avec le village. Tout le village est parti ensemble, les attelés de chevaux, les tracteurs, il y avait 2 ou 3 voitures ; la femme du maire avait dans sa voiture les femmes qui avaient un nourrisson, une autre avait les femmes enceintes, le boulanger avait apporté toute sa farine. Dans chaque endroit où ils s’arrêtaient, les gens s’arrangeaient avec lui pour faire le pain. Ils n’en ont jamais manqué d’après ce qu’a dit ma mère. Eux, sont allés moins vite que les voitures et n’ont pas passé la Loire. Ils se sont arrêtés, sans doute rattrapés par les troupes allemandes et parce que les ponts étaient sautés.
Moi en voiture, j’ai passé la Loire, on allait plus vite et étions devant. Après on est resté assez longtemps, 2 à 3 semaines car il fallait attendre pour repasser la Loire. La commune dans laquelle on a atterri nous a alloué un petit local où nous étions 2 familles. Un couple avec 2 garçons dont l’un avait mon âge et l’autre 2 ans de plus et la famille avec qui j’étais avait une grande fille de 17 ans. On vivait ensemble.  Je crois me souvenir qu’on avait 2 pièces. On faisait la cuisine dans une cheminée ouverte. L’autre monsieur avait fait un apprentissage de boulangerie avec le boulanger du village qui l’avait embauché quand il y a eu l’arrivée d’immigrés. Dans ce village, on produisait du vin. Il était payé avec un broc de vin tous les jours. C’était un de ces petits vins de pays, de la piquette. Je me souviens qu’un jour les 2 gars avaient bu et se sont battus et ont roulé dans la cheminée en fichant en l’air la soupe !! (rires). Mais ça, ça n’était pas la guerre, juste la vie de tous les jours ! Pendant ce temps ma mère était évacuée avec le village et je n’ai eu aucun contact avec elle. Pas avant le retour. Comme ils n’ont pas passé la Loire, ils sont ensuite revenus, mais nous, nous avons dû attendre. Je ne me souviens pas être repassée sur un pont. Avaient-ils été reconstruits ? Avons-nous fait un long détour ? C’est un souvenir que je n’ai pas. Vous savez, moi j’étais derrière avec la jeune fille. Si ça avait été mon père, j’aurais posé des questions, mais je n’ai pas de souvenir du lieu précis où nous étions. »

Témoignage de Suzanne Proffit, de Bouillancy
« Mon mari avait avec lui les tracteurs traînant des voitures pleines de réfugiés et nous avions tous les animaux, chevaux et bœufs, traînant aussi des voitures bondées de monde.
Nous avions rendez-vous, le soir, avec mon mari dans un petit village à quelques kilomètres de là. Nous faillîmes d’abord être anéantis par les avions ennemis. Un régiment de Noirs s’éparpilla devant nous, terrifiés par leur bombardement.
En arrivant sur la grande route, que nous devions suivre, des soldats nous obligèrent à prendre une petite route qui ne nous a jamais permis de nous retrouver (disant que la grande route était réservée à la troupe, alors qu’il n’y avait personne). Montereau fut atteint avec peine, les deux ponts traversés au milieu d’une foule indescriptible de réfugiés affolés. A Montereau, notre caravane s’augmenta de la ferme de Fosse-Martin, M. Haas, en étant déjà séparé.
Difficultés nombreuses, le pain manque car les boulangers sont débordés et prêts à partir eux-aussi. Les chevaux sont déferrés et nous n’avons aucun maréchal et très peu de fers. Nous couchons à quelques kilomètres de là, avec la vision hallucinante de parachutistes ennemis descendant sur Montereau, Montacher. Nous avons failli y périr, le carrefour où nous étions réfugiés étant bombardé sans arrêt par les avions italiens… Une accalmie nous permet de repartir. Heureusement nos voitures n’ont rien que toutes les vitres brisées et une grande brûlure sur le siège d’Anne-Marie, qui lui aurait été fatale si elle avait été là.
Nous arrivons, je ne sais comment, à Montargis (sans essence ou presque) après avoir passé la nuit sur une petite route où, des canons nous frôlaient sans cesse. Un vrai cauchemar.
A Montargis, rencontre de M.Duvivier de Russy qui rentre chez lui. » Que voulez-vous ? Un peu plus tôt ou un peu plus tard, il faudra bien les voir arriver » nous dit-il.
Nous continuons sur Gien, traversons la ville déserte de ses habitants, mais pleine de soldats et de pillards (vu des Algériens prendre de l’argenterie dans des voitures abandonnées et l’empiler dans des sacs). Sur les ponts, des cadavres sans cesse par les avions. Nous passons aux Blancs (Cher) à la propriété du frère de ma tante Charles : M.Guillaumin. Elle est abandonnée. Deux jours après, nous arrivons au Gué long chez les Thomas (sœur de Mme Jacques) où nous espérons l’exode terminé, mais nous voyons ces dames préparer activement leur départ.
Elles nous ont emmené à Lussat à quelques kilomètres de Montluçon. Le jour de notre arrivée, 23 villages de la Creuse furent bombardés. C’était encourageant ! Nous y sommes restés 23 jours sans aucune nouvelle de personne et c’est là que nous avons appris l’Armistice et le discours du général De Gaulle le 18 juin. Les enfants avaient tous la fièvre, mais dès qu’ils furent mieux, nous avons regagné Montluçon dans l’espoir de rentrer chez nous. « Restez sur place ! » nous dirent les gendarmes, surveillant la route, « sans quoi nous crevons vos pneus ». Retour à Lussat…
La population nous regardait de travers. Les gens disaient : « tous ces réfugiés-là viennent manger notre pain et notre sucre », car tout cela était rationné.
Un jour, dans une épicerie où je venais toucher nos tickets de sucre, j’aperçus sur un de ces cartons : « sucrerie de Vauciennes-Oise ». Je pris le carton, le montrai à ces femmes jalouses qui attendaient leur sucre comme moi et leur dis : « vous voyez si vous avez du sucre, c’est parce que nous vous en donnons ». Cela les fit tout de même taire. Enfin, au bout de 23 jours, un bruit d’auto (rare). Anne-Marie regarda et tout de suite s’écrie : « Papa ! » et c’était lui. Il n’avait, lui non plus aucune nouvelle de nos soldats, mais il nous ramena à la maison avec l’auto de notre curé (mobilisé comme infirmier), la sienne lui ayant été prise.
Je suis restée avec Anne-Marie afin qu’elle ne soit pas seule dans sa maison pleine de soldats ennemis, dont les fusils étaient rangés sur la porte de sa chambre.
Courtes visites à Bouillancy et à Lagny-le-Sec où M. Jacques rentre plus tard. Il y avait partout un chassé-croisé de meubles invraisemblable, de la nourriture partout, pleine de vers qui s’en régalaient. Enfin, il fallut vivre sous la menace de l’ennemi. »

Témoignage de Madelaine Hazé, 11 ans, de Bouillancy
« Comme nous étions des agriculteurs, nous avions des charrettes. Les charretiers avaient pris 6 chevaux, chacune des charrettes avait 3 chevaux. On avait mis tous les ouvriers dedans, qui avaient emmené leur famille, des matelas car ils couchaient dans les voitures. Et on est parti. On est allé à Montargis, je m’en rappelle bien car on a été bombardés. On s’est couchées, mes sœurs et moi dans une tranchée, qu’ils avaient creusé. On a dormi là. On était parti à plusieurs, des petits fermiers. Il y avait M. Ledoux avec ses ouvriers, M. Delaître qui conduisait le tracteur que mon père venait d’acheter. Lui, avait un petit cabriolet avec sa famille. De notre ferme, tout le monde est parti, ça faisait du monde. Le vacher M.Colmant   avec ses 10 enfants, le charretier René Colmant… On est parti presque dix jours jusqu’à Hericy ; avant Gien. On ne s’est pas arrêté, si ce n’est pour dormir. Comme on avait une auto, moi je dormais dedans, je m’en rappelle, Jacqueline dormait sur le strapontin, Reine elle était devant et papa conduisait. »
Papa recherchait sans cesse de l’essence pour les tracteurs et les autos. Et puis, il y avait une charrette pleine d’avoine pour les chevaux. Il fallait qu’il s’occupe de nous et du convoi. Nous, on en avait 4 avec les 2 voitures et puis les chevaux, M.Ledoux  en avait 2, M.Delaître , il avait le tracteur et le cabriolet…ça faisait du monde. ». On a évacué deux fois. La première fois, on est allé à St-Germain  chez la fille de Mme Proffit  qui était cultivatrice. Puis on est revenu. »

 Témoignage de Jacqueline Hazé, 17 ans, de Bouillancy
« Après l’entrée des allemands en France à Sedan en mai 1940, tout le village a reçu l’ordre de l’évacuer. Le 8 juin 1940, nous sommes donc partis pour un premier exode de 8 jours avec nos carrioles jusqu’à Lagny sur Marne, à 40 Km au sud. Il n’y avait pas d’essence pour la camionnette qui était accrochée à une carriole tirée par un attelage de chevaux ; cela ne s’est pas trop mal passé. Nous sommes repartis une seconde fois le 20 juin ; ce fut plus dur. L’ordre était d’aller plus loin que Meaux et de passer la Seine. Papa qui adorait les chevaux a été obligé d’en abandonner un dans notre écurie. Il s’appelait « Bayard ». Papa a laissé un grand coffre d’avoine ouvert et il a rempli d’eau l’abreuvoir jusqu’à ras bord. Toutes les familles qui partaient avaient tué des lapins et j’ai un fort souvenir de toutes ces bêtes écorchées et des peaux qui étaient pendus aux grilles des maisons. Nous avons été cette fois jusqu’à Nogent sur Vermisson, à 160 Km au sud, un peu au-dessous de Montargis. Nous dormions dans les fossés et nous avons été plusieurs fois mitraillés. Par chance tous ceux de Bouillancy ont pu revenir indemnes trois semaines plus tard. Ceux du village voisin d’Etrépilly ont eu moins de chance et ils sont revenus avec 8 morts. Notre cheval Bayard était en pleine forme à notre retour… »

Témoignages de Paul Durand, 13 ans, de Péroy-les-Gombries
« Nous progressions par étapes journalières d’une vingtaine de kilomètres. La première de ces étapes fut Monthyon en Seine-et-Marne, puis nous atteignîmes Les Ecrennes près de Melun. Nous avions entendu dire que les Italiens bombardaient les routes et nous craignions que cela nous arrive. Nous empruntions les petites routes et voyions les bombardements au loin. Nous avons vu brûler un dépôt de carburant. 
Arrivés à Champagne-sur-Seine, il nous fallait traverser le fleuve mais les soldats français annonçaient que le pont était piégé pour retarder l’avancée allemande et qu’il ne fallait plus l’emprunter. Nous serions alors pris au piège et notre exode s’arrêterait là. En tête du convoi, sur nos vélos, nous, les jeunes, pûmes tout de même franchir le pont. Mon père, handicapé par une crise de rhumatismes aiguë, enfourcha le sien malgré la douleur et parvint à passer in extremis, tout comme ma mère avec la poussette de ma sœur qui avait à peine un an. Le pont sauta d’une manière très spectaculaire peu après et nous laissâmes derrière nous les carrioles contenant le peu d’affaires que nous avions pu emporter.  Par chance, les agriculteurs de Péroy qui nous accompagnaient purent retraverser la Seine un peu plus loin et récupérer les carrioles et les chevaux que l’on avait dételés. Ils rentrèrent alors au village. Quant à nous, nous nous remîmes en route et gagnâmes Nemours puis Montargis en affrontant un nouveau mitraillage allemand en forêt de Fontainebleau. Arrivés à Montargis, un « énergumène » en uniforme noir faisait la circulation. Je dis alors à mon père qu’il s’agissait sûrement d’un Allemand mais il ne me crût pas. « Ils n’étaient pas habillés comme ça en quatorze ! » me dit-il. C’était pourtant le premier Allemand que nous vîmes. 
Après quelques jours, une fois la défaite devenue plus claire dans nos esprits, nous décidâmes de rentrer à Péroy. Notre périple dura près de deux semaines. C’était à nouveau une épreuve que de rentrer ainsi sans savoir ce qui nous attendait. Nous passâmes par toutes les émotions, à l’image des endroits que nous traversâmes. Les situations étaient parfois plus qu’insolites puisque nous fûmes hébergés dans des centres d’accueil pour les réfugiés aménagés sommairement dans des endroits inattendus. Ainsi, à Fontainebleau, nous couchâmes au château et le lendemain, à Melun, dans les sous-sols de la prison…
Une des images particulièrement marquantes de cet épreuve que je garde encore en tête est l’hécatombe de poussettes d’enfants sur les bords des routes et dans les fossés. En effet, les essieux de ces engins n’étaient guère prévus pour supporter les kilomètres et les conditions d’un exode. Ils cassaient ce qui rendait alors les poussettes inutiles et encombrantes. Les familles devaient alors prendre les enfants dans les bras, en plus de leur fardeau qu’ils abandonnaient souvent en partie. Pour parer un éventuel incident de ce type, mon père eu l’idée de s’emparer d’un pot de graisse rose dans un garage abandonné de Montargis. Sur la route du retour, nous démontions les essieux de la poussette de ma sœur tous les soirs et les graissions. Cela nous préserva d’une casse de l’engin. 
A notre retour, la maison était dans un désordre indescriptible. Nous avions croisé un cultivateur de Péroy, la veille de notre arrivée. Alors que nous étions à Monthyon, il nous avait dit que les portes de la maison étaient grandes ouvertes et qu’il avait aperçu un lapin dans le couloir… Nous avions vu le pillage de Montargis et nous appréhendions un peu d’arriver. Finalement, à Péroy comme ailleurs, deux armées s’étaient succédé, se comportant de la même manière. Nous retrouvâmes un de ces gros fûts de 120 litres de vin que l’on appelle une « demi-pièce » dans la cour, percé par un pavé et vide son contenu. Il avait été remonté de la cave, certainement à grand peine mais la main d’œuvre ne devait pas manquer. Nous nous étonnâmes également de constater, au milieu d’un incroyable désordre, qu’une des tables du bistrot avait été transportée dans une chambre de l’étage et recouverte d’une nappe faite d’un drap. Sur cette installation de fortune, il y avait des verres et du « pain KK10 ». 

Témoignage de Robert Hénin, 14 ans, de Betz
« Nous, on était des gamins, j’avais 14 ans et je me souviens que ma mère préparait des habits pour partir, quand des gradés, des officiers arrivèrent à la maison et demandèrent à ma mère si nous partions. Elle répondit que oui, alors ils allaient installer un canon dans notre maison à la fenêtre. Ils installèrent dehors des sacs à terre. Puis, on est parti. Certainement que ça n’a pas été installé. En tout cas les « Boches » approchaient. C’est un cultivateur qui nous a emmené et on est allé jusqu’à Melun. Ensuite on a pris le train et on est allé en Bretagne, au bord de la mer à Pénestin. Il y avait Simon (Novakowski) qui était là aussi. Et d’autres de Betz.  Après l’Armistice a été signé et de là on est allé à Vannes et à Malestroit. Après les « Boches » sont arrivés, on est rentrés. Mon père travaillait à Paris et il est parti à vélo jusque dans le Midi. Quand on est rentrés, la moisson était finie. On a eu des Réfugiés qui venaient du Havre et on en a même eu qui sont restés définitivement à Betz, ils y ont trouvé du travail. »
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