La libération de Méru
par Jean-Pierre Besse, mise à jour le 27 avril 2024
Le mercredi 30 août, on entend le canon. Vers 16 h, on annonce que les troupes des Etats-Unis sont à proximité. Vers 17 h, des Allemands passent avec des canons anti-tanks, du matériel, des pièces d'artillerie d'assez fort calibre. Les soldats sont dans un état pitoyable. Vers 18 h, les tirs redoublent, les rues sont désertes. A 18 h 30, deux motocyclistes du 79 DI descendent la côte de l'hôpital, on acclame les premiers libérateurs.
Vers 19 h, six voitures des troupes alliées viennent jusqu'au coin du Moulin. Sur l'une d'elle, un officier français prévient la foule de ne pas pavoiser et de ne pas manifester, car un retour des Allemands est toujours possible. Un mouvement de panique agite Méru quand deux Allemands traversent à moto la ville.
Le 31 août, les FFI vont au devant des troupes des Etats-Unis et fouillent les anciens cantonnements allemands. A 7 h 45 douze voitures blindées alliées et des jeeps entrent dans la ville. A 9 h une fusillade éclate lors du nettoyage des fonderies où quinze Allemands résistent.
A 9 h 40, les chars traversent la ville, les cloches sonnent, les drapeaux alliés sont sortis aux fenêtres. L'après-midi, "La Ronflante", clique locale, exécute quelques morceaux.
Sources :
L’Écho de Méru, août 1994, quotidien.
Récit de Pierre Brisset,
extrait de La libération de Méru
Mercredi 30 août 1944
La journée est marquante. Cette nuit, on a entendu le canon, mais tout s'est calmé vers les premières heures de la matinée. Au début de la journée, les F.F.I. répandent dans Méru le tract suivant signé du Commandant des F. F. I. de Seine-et-Oise, PHILIPPE.
République Française Armée Française
AVIS A LA POPULATION
Étant donné l'importance des évènements en cours, et les conséquences extrêmement graves que peut entraîner tout acte inconsidéré, je décide de prendre les mesures suivantes : « Toute personne qui sera convaincue d’avoir soit par par trahison, soit par lâcheté, soit par imprudence, soit par paroles inconsidérées, contribué à l’arrestation de patriotes ou de soldats de l'armée de libération, sera immédiatement exécutée. » Tout propagateur de fausses nouvelles sera considéré et puni comme agent de l'ennemi. Chacun est tenu d'héberger les formations régulières des Forces Françaises de l’intérieur qui lui demanderont asile. En libérant PARIS et plus d'un tiers du territoire de la Métropole, les Forces Françaises de l’intérieur qui opèrent en liaison étroite avec les Alliés, viennent de prouver qu'elles sont désormais plus puissantes que l'armée allemande.
LA FRANCE EST EN GUERRE.
En Seine-et-Oise, Août 1944
Le Commandant des Forces Françaises de l’intérieur dans Seine-et-Oise PHILIPPE
Dans la matinée, il passe quelques voitures allemandes, une roulante s'installe même chez Madame Pauchet. A 12h10, on entend brusquement des crépitements qui évoquent le bruit d'un combat de rues. Les artères méruviennes se vident, les magasins ferme leurs rideaux, les particuliers leurs volets. Une grosse fumée jaunâtre s'élève : il s'agit du hangar à paille de la route de La Villeneuve que les Allemands viennent d’incendier. Le tocsin sonne. Les pompiers sont alertés pour prévenir tout risque de propagation à la ferme Duchatel. Bientôt l’affaire est terminée.
Dans l'après-midi, on perçoit distinctement le grondement du canon. Un grand convoi de camions, roulantes, voitures de la Croix-Rouge, chevaux réquisitionnés dans les fermes des environs avec leurs attelages et leurs charretiers, cyclistes (il y a des tandems et des triporteurs) traverse la rue Nationale et se dirige, partie vers Andeville (la grande majorité) partie vers Beauvais. Pourquoi les armes des fuyards sont-elles immédiatement dirigées vers les habitants qui se risquent à contempler cet exode ? Le bruit court que les blindés alliés sont à 5 km de Monneville.
Vers 16 h, on annonce à la Mairie que les Américains sont à proximité. On ne peut aller vers St-Crépin. On indique d'ailleurs plusieurs pointes extrêmes: Lormaison, St-Crépin, Montherlant, Hénonville. Entre 16h et 17h., on entend très nettement le canon et la mitrailleuse. Il s’agit, selon toute probabilité, de canons anti-chars tirant très très près. Aux environs de l’hôpital, les balles sifflent !!!
Vers 17 h, il passe des Allemands avec des chevaux, des canons anti-tanks, du matériel, des pièces d’artillerie d’assez fort calibre (selon des indications non confirmées il s’agit du 18ème régiment d’artillerie). Les soldats sont dans un état lamentable. Harassés, une barbe de plusieurs jours accusant leurs traits ravagés par la fatigue, les bottes couvertes de boue séchée, les habits maculés ou déchirés, la toile de camouflage jetée au hasard sur le dos, ces soldats n’ont plus la force d’avancer et se traînent péniblement en file indienne ou se couchent dans les voitures ou sur les affûts. Petit à petit,le tir des canons diminue d’intensité pour bientôt cesser.
Vers 18 h le tir reprend, très près. On a l’impression qu'il s'agit de pièces anti-chars tirant dans la direction de La Villeneuve.
A 18h05 les mitrailleuses crépitent. Les rues sont désertes. Il n’y a presque personne aux fenêtres. C’est ensuite l'angoisse de l’attente. Le bruit des moteurs, Ie roulement des colonnes, (on ne doute plus un seul instant que ce soient les alliés) est très perceptible même en pleine ville.
A 18h30 exactement, quelques personnes placées au coin à Moulin, rue Nationale, crient : « Les Américains, les Américains ! » En effet, deux motocyclistes Américains, deux beaux gars, montés sur des engins puissants, descendent à toute allure la côte de l'hôpital. Bientôt c'est un groupe compact qui les entoure mais nos deux « motards » effectuent quelques circuits. Méru, inconscient du danger qu’il court encore, acclame ces premiers libérateurs, les embrasse, les couvre de fleurs, les ovationne longuement. L'un d’un geste calme, mais très cordial, remercie la foule alors que l'autre a un visage fermé, bourru, et donne une mauvaise impression. N'oublions pas que ces gars-là sont fatigués et qu'ils sont pour l'instant au combat.
Vers 19 h, cinq voitures américaines viennent jusqu'au coin à Moulin. Sur l'une d'elles il y a u officier français qui prévient la foule de ne pas pavoiser et de ne pas manifester, pour l'instant, car, un retour des boches est toujours possible. Dans une autre, se trouve un prisonnier allemand qui s'est rendu une heure plus tôt, route de la Villeneuve à un groupe de civils dont les noms suivent : Musat, Morel Jules, Vancraybeck, Houdayer Père et fils. Les cinq autos montent par la gare et repartent, saluées par des cris joyeux. Quelques curieux, qui se sont hasardés à la sortie de Méru, affirment qu’il y a une longue colonne de chars, canons et voitures après l'hôpital. Un certain mouvement de panique se produit quand on annonce dix minutes après que les Allemands reviennent. Certains affirment qu'il y en a à Amblainville.
19 h 35 : deux Allemands traversent Méru en moto, semant par leur seule présence, l'affolement parmi la population assemblée sur le pas des portes. Ils vont jusqu'à la gare et repartent en trombe dans la direction d'Andeville.
19h40 : On entend des coups de feu. Les gens, sortis, dès le passage des Allemands, rentrent chez eux précipitamment, pour bientôt revenir dans la rue. Tous ou presque tous resteront ainsi jusqu’à 21h30, attendant...
Un des deux motocyclistes américains arrivés à 18h30 se promène en moto dans Méru, avec Jean Coatannay. Il passe la nuit au restaurant Musat où des FFI armés de fusils montent la garde. Durant la nuit, de nombreux habitants restent dans leur cave ou dans leur abri individuel car tous redoutent le pire.
Jeudi 31 août
C'est une journée inoubliable ! Aux premières heures de la matinée, les F.F.I. quittent Méru et partent, certains audevant des américains, d'autres dans les bois, d’autres encore dans les anciens cantonnements allemands.
A 7h45 : une douzaine de voitures blindées américaines et quelques Jeeps. Les hommes paraissent fatigués. La foule se masse d'abord au coin Moulin, puis un peu partout rue Nationale.
8 h : une voiture à cheval avec quelques allemands venant d'Amblainville prend la rue de la poste. (Notons que cette nuit on a pu constater le passage aller et retour d'une 402 allemande). L'affiche suivante est apposée un peu partout :
AVIS A LA POPULATION
«Le port de brassards F.F.I. est strictement réservé aux groupes qui auront reçu l'autorisation de les porter. Cette autorisation est délivrée par l’officier commandant le secteur, non par le chef de groupe local. Le port du brassard est une distinction, non une occasion de vantardise. Toute personne trouvée porteuse de brassard sons en avoir reçu l'autorisation. formelle, sera déférée devant l'autorité militaire. : Je ne veux que des combattants, non des mannequins de défilé »
Le commandant S-et-O Nord
8 h 15 : Le motocycliste Américain, qui a passé la nuit chez Musat, repart pour Hénonville. Quand il nous quitte, une foule compacte l'entoure.
A partir de 8 h 30 des chars Américains sont en stationnement rue Jean-Jaurès.
9 h : On entend une fusillade nourrie : il s'agit du nettoyage des Fonderies où 15 Allemands résistent dans le pavillon. L'opération est menée par deux tanks légers américains et les F.F.I. suivants : Connet René, Musat Gustave, Delberghe Eugène, Houdayer André, Morel ]ules, Lebrun Georges, Coatannay Jean, Vignaud Marcel, Morel Jean, Beucher Raymond, Gontier. Les Allemands ayant deux des leurs blessés se rendent-bientôt, ayant constaté qu’il était impossible de s'échapper. Ils sont emmenés par les autorités américaines.
9 h 20 : 2 voitures américaines passent rue Nationale avec deux gendarmes et un blessé léger allemand. Les FFI reviennent des Fonderies avec leur butin : une mitrailleuse, des fusils, des munitions.
9 h 40 : les chars traversent Méru au milieu des acclamations. Chacun se rue pour serrer la main des Yankis.
Vers 10 h les F.F.I., sous Ia conduite du chef de section Musat, s’emparent de l'espion Michel Mendzat et le promènent dans la ville où la foule le suit et le hue. C'est ensuite un défilé imposant des fantassins. Ils forment de longues colonnes de chaque côté de la chaussée. Couverts de boue, fatigués, ils sourient quand même et répondent aux ovations de la population qui les entoure et leur offre du pain, du sucre, des tomates (ce qui semble le plus apprécié), du vin , du cognac. Les cloches de l’église sonnent à toute volée. Les drapeaux alliés, où les français dominent, flottent aux fenêtres et des guirlandes décorent la rue Nationale. Le soleil se met de la partie et c’est du délire qui s’empare de la foule. Les rues sont noires de monde.
Pendant ce temps les F.F.I. procèdent à l'arrestation et à la tonsure (coupe dite à la ch'leu) de certaines femmes. L'opération de coiffure a lieu à la mairie et de nombreuses personnes y assistent. Puis c'est un cortège pour ainsi dire ininterrompu de matériel, d'artillerie, de grues, de camions, de jeeps, de troupes, de chars, de chenillettes, de ravitaillement. Les gens sont dans une sorte d'ivresse qui va grandissante. Les soldats répondent inlassablement (visiblement touchés par cette réception car j'ai vu un capitaine pleurer) aux ovations. Le bonjour des deux doigts fait fureur et quand un Sammy crie en français «Vive la France», c'est un redoublement de cris et d’applaudissements frénétiques. Les camions ou autos qui s'arrêtent sont immédiatement entourés et presque submergés (beaucoup d’enfants !...). Les cigarettes, paquets de bonbons, pâte de fruits, boîtes de conserves,... pleuvent et c’est une véritable compétition pour s’emparer d’une «Chesterfield» ou d'une «Lucky Strike» parfois aplatie ou dépouillée dans la bagarre. Presque sans arrêt, les avions d'observation survolent la ville. Les personnes massées dans les rues tendent les mains et agitent leur mouchoirs en criant et gesticulant pour saluer les les hommes que l'on voit dans leur cage vitrée. Le champ de ces aviateurs est installé route d’Esches et plus d’un curieux s'y rend... espérant un petit voyage... De nombreux méruviens prennent des photos, imitant en cela leurs alliés, car presque dans chaque voiture, il y un homme avec un appareil ou ne caméra. D'un seul coup, les couleurs nationales éclosent aux boutonnières et aux corsages, se piquent aux cheveux des jeunes filles, pour attester la joie que chacun ressent d'être redevenu français libre.
L'après-midi, la « Ronflante », hâtivement reconstituée, exécute quelques morceaux entraînants, dans différents endroits de la ville. On est heureux d’entendre une musique française et quand elle joue «La marche de la Légion» à l'intention du F.F.I. Jean Coatanay, l'instant est émouvant. Pendant ce temps une délégation des F.F.I., suivie d’un imposant cortège de Méruviens, monte à Andeville déposer une couronne au cimetière et rendre les honneurs aux malheureuses victimes de la sauvagerie du, 27 août.
Un cinéaste de l'armée américaine filme constamment le parcours et la cérémonie. D'autres F.F.I. opèrent des battues dans les bois environnants. Leur P.C. est installé rue Nationale, à l'Oasis qui fut longtemps occupée par les Allemands.
FFI devant leur PC installé dans L'Oasis. Dans la foule, la famille Naudin, Mme Hardy, Mme Wiet. A droite, Collinet, A. Mercier, Gauthier, Nicole Marquant, Beaucle.
L'enthousiasme est très grand toute la journée surtout lorsque le bruit court que les Français du général Leclerc vont passer ici. Les vélos sont sortis de leur cachette ; quelques autos également, servant au transport de nos FFI.
Dans la fin de l'après-midi, le tambour municipal annonce les mesures suivantes prises par l’administration américaine :
« - Défense de sortir de 22h. à 5 h. du matin.
- Défense de téléphoner et d'écrire pendant 3 jours.
- Défense de circuler dans un rayon de 6 Km.
- Il est demandé aux civils de ne pas emprunter les grandes routes.»
Jusqu'à 22h. la foule en proie à la joie de la libération reste dans les rues.
Vers 22h30 un F.F.I., Maurice Farque, est blessé de deux balles par un isolé allemand, côte de Beaumont. Malgré l'attitude courageuse de ce jeune homme qui tira sur le boche bien que blessé, il ne fut pas possible d’en retrouver la trace. Un autre groupe de FFI fait prisonniers trois allemands, dont un officier, du côté de La Villeneuve et les remet aux américains.
1er septembre. Le défilé des troupes continue. Toujours le même enthousiasme. Chaque voiture, chaque soldat est acclamé et salué. C'est encore jour de fête. Chacun est frappé de voir le matériel américain, qui apparaît terrifiant, «colossal» et nous change de la ferraille et de l'improvisation allemande de ces dernières semaines. La première voiture anglaise se trouve place de l'église. Les arrestations et les tonsures continuent. Durant la nuit, cinq robots V1 tombent dans la région ; le plus près à 700 mètres environ de la ferme Verplancke à Lormaison.
2 septembre. La longue procession de convois est incessante, surtout des chars moyens et des troupes portées en camions. Les patrouilles F.F.I. continent (champs entre Lormaison, St Crépin, bois du Déluge de Valdampierre, d'Anserville principalement). Dans la nuit des affiches, signées « La voix du peuple » et réclamant l'arrestation des profiteurs du marché noir et le changement de municipalité sont apposées.
3 septembre. Toujours des convois. Il passe aussi plusieurs camions de prisonniers allemands qui sont hués.
Le matin à 9 h. les F.F.I. et de nombreux méruviens se rendent au cimetière d'Andeville où à lieu une cérémonie en l'honneur des fusillés du 27. A l’église St Lucien une foule imposante et recueillie assiste à la grand'messe pour nos morts et nos prisonniers.
L'après-midi, une délégation de F.F.I suivie d'une grande partie de la population monte au cimetière déposer une couronne au monument aux morts. Discours de MM. Coquet et Bazin.
Défilé des FFI et de la population de Méru le 3 septembre 1944 en hommage aux massacrés d'Andeville.
Défilé rue Roger-Salengro des FFI et de la population de Méru allant rendre hommage au 17 massacrés d'Andeville du 27 août 1944 (cliché United Statrs Army Signal Corps).
Des arrestations sont encore opérées. Le nettoyage de la région se poursuit. Les avions sillonnent constamment le ciel ; maintenant on les regarde et les admire avec désinvolture !
4, 5, 6 septembre. Les troupes continuent de traverser Méru, un MÉRU LIBÉRÉ après de longs mois d'attente, d'angoisse, d'espoir, de terreur, de crainte !
Entrée des chars américains à Méru.
Entrée des chars américains à Méru.
char américain au carrefour de la gare de Méru.
GMC américain rue Nationale à Méru.
Jeeps américaines rue Nationale à Méru.
Jeeps américaines rue Nationale, à Méru.
René Conet, FFI, et deux camarades.
Jeep américaine dans Méru.
Fantassins américains rue Nationale et chars à Méru.
Embrassade d'un allié.
Gisèle Mousson et Solange Coquelet posant avec un photographe américain à proximité de la Société Générale.
Un lieutenant newyorkais du service photographique de l'armée pose rue Nationale à Méru.