Chambres civiques

Les dossiers de la chambre civique de l’Oise
Décembre 1944-Septembre 1945
par Véronique Decayeux

Déjà en pleine guerre, les juristes réfléchissaient au « châtiment des traitres » une fois la paix revenue. Il y a une foison extraordinaire de textes qui aboutissent à la création d’une justice d’exception (Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo), le châtiment de nouveaux crimes (celui de collaboration) et l’instauration d’une nouvelle peine : la dégradation nationale.
Auteur de l'article « Les dossiers de la Cour de justice de l’Oise », paru dans le n° 131-132 (en 2013) des « Annales Historiques Compiègnoises », l’historienne isarienne Françoise Rosenzweig-Leclère s’était fixé l’objectif d’examiner la cohorte des personnes qui ont été assignées devant la Cour de Justice de l’Oise (dont le ressort est celui de la Cour d’Appel d’Amiens) d’Octobre 1944 à Octobre 1945. Elle rappelait à cette occasion, que le dispositif mis en place sur le plan national, pour juger les collaborateurs comportait trois étages :
  • La haute cour de Justice pour juger le chef de gouvernement, les ministres et principaux responsables,
  • La Cour de Justice, sur laquelle elle a travaillé pour l’Oise,
  • Les chambres civiques.
Ces dernières statuent sur des délits qui ne relèvent pas du droit pénal. Il s’agit de juger les gens qui ont adhéré à un parti collaborateur, pratiqué le marché noir ou encore aidé directement ou indirectement l’Allemagne. Cet article étant consacré à la Chambre civique de l’Oise, il m’est apparu que dépouiller et analyser les dossiers des personnes jugées dans ce cadre pouvait être un complément intéressant au travail de Françoise Rosenzweig et permettrait d’observer qui étaient les accusés, quels étaient les chefs d’accusation et les peines prononcées.
Composition des chambres civiques
Tout comme les Cours de Justice, les Chambres civiques empruntaient aux Cours d’Assises le panachage des magistrats et des jurés. Son organisation est issue de l’ordonnance du 26 août 1944, il s’agissait « …de juger tous ceux qui avaient directement ou indirectement aidé l’Allemagne, porté atteint à l’unité de la nation, à la liberté et à l’égalité des Français, à l’idéal et à l’intérêt de la France… ».

Qui composait ces Chambres civiques ?
Elles comptaient cinq membres : un magistrat désigné par ordonnance du premier Président de la Cour d’appel (pour nous celle d’Amiens) et 5 jurés membres de la Résistance et tirés au sort. Pour ce faire, une liste de 100 noms est établie et chaque mois, 20 noms sont tirés au sort dans cette liste, puis 5 dont 1 suppléant parmi ces 20 noms pour chaque nouvelle audience.
 Etaient donc présents lors d’une audience : un magistrat, quatre jurés, un commissaire du gouvernement et un greffier.

Le contenu des dossiers
252 dossiers d’individus passés devant la Chambre Civique de l’Oise entre Décembre 1944 et Septembre 1945 ont été dépouillés. Souvent, ces dossiers sont établis par la DGPN, la Direction Générale de la Police Nationale. On y trouve l’Etat civil de l’accusé, son degré d’instruction, sa situation familiale, son métier, des procès- verbaux de témoins puis l’acte d’accusation, la requête et enfin la peine.
Exemple : René G, audition du 28 décembre 1944, interné à Clermont (tous ne sont pas internés). Nous apprenons qu’il est né le 1er mai 1893 à Paris (IXe), qu’il est représentant de commerce (alimentation générale) demeurant à Compiègne (souvent nous avons l’adresse), marié, une fille et qu’il a le Certificat d’Etude Primaire. Il est accusé d’être membre du PPF à Compiègne (Parti Populaire Français dont le chef est Doriot) depuis 1937 jusqu’à la Libération. La peine prononcée est la Dégradation Nationale pendant 10 ans.

Sociologie des accusés
L’étude nous montre que ces dossiers ont concerné 83 femmes (soit 32,93%) pour 163 hommes. La moyenne d’âge est de 36 ans en 1940.
En ce qui concerne le niveau d’instruction, 44 ont le Certificat d’Etude Primaire, 40 savent « lire et écrire », 41 ont une instruction primaire (mais pas le CEP), 8 ont le Brevet Elémentaire, 11 ont une instruction supérieure, 2 bacheliers et 1 analphabète. Cette information n’est pas toujours consignée (mais c’est rare) mais cela nous permet de conclure que l’instruction des accusés est globalement peu élevée.
S’agissant des secteurs d’activités, 40 travaillent dans le secteur primaire, une centaine dans le secondaire (artisans, commerçants et 68 ouvriers) et 62 dans le tertiaire dont 25 professions intermédiaires et employés. On remarque que le secteur secondaire est le plus représenté ce qui parait logique dans la mesure où, on le verra plus loin, certains ouvriers et ouvrières sont partis travailler en Allemagne. Par ailleurs beaucoup de commerçants (café, épiciers, bouchers…) vont être en rapports directs avec les allemands.
Lorsque l’on observe la répartition géographique, les grandes villes et leur canton sont bien représentés : Senlis 23 cas, Beauvais 24, Creil-Nogent sur Oise-Montataire 20. Il est intéressant de constater que nous relevons 24 dossiers dans le canton de Chaumont en Vexin plus rural (des collaborationnistes ont été condamnés dans ce canton par la Cour de justice). Suivent les cantons de Mouy 17, Grandvilliers 16 et Clermont 13. Plusieurs cantons ne sont pas concernés ou à la marge. Peut-être, pour certains cantons, peut-on y voir l’impact du « militantisme » de collaborationnistes comme la famille Pallu sur Trie-Château et de propagandistes du RNP sur Précy-sur-Oise ou encore l’action de Mme Douls sur Senlis.
La Semaine de L'Oise
du 6 janvier 1945
Les accusations
C’est surtout la collaboration politique qui est poursuivie et condamnée mais les dossiers nous donnent un aperçu des autres motifs comme celui « d’aide directe ou indirecte à l’Allemagne ». Par ailleurs, les chiffres peuvent cacher des nuances. En effets, certaines personnes ont changé de parti et sont passées du RNP au PPF ou du MSR (Mouvement Social Révolutionnaire, implanté dans le Beauvaisis et dont le délégué général est le Docteur Niel, maire de La Chapelle aux Pots) au RNP.
Le délit est celui d’Indignité Nationale qui comme on le verra au niveau des peines entraîne celle de Dégradation Nationale. D’après l’ordonnance du 26 août 1944, dans son article 1er, « Est coupable du crime d’indignité nationale…tout français qui est reconnu coupable d’avoir postérieurement au 16 juin 1940, soit apporté volontairement, en France ou à l’étranger, une aide directe ou indirecte à l’Allemagne ou à ses alliés, soit porté volontairement atteinte à l’unité de la nation, ou à la liberté et à l’égalité des français ». Suit la liste des faits incriminés.

L'appartenance à un parti collaborateur
Dans l’Oise, le délit qui concerne le plus d’individus est celui d’avoir appartenu à un parti collaborateur et d’avoir eu une attitude pro-allemande active. C’est le cas de 117 personnes soit 46,22%.
La première place revient au RNP (62 dossiers). Le Rassemblement National Populaire fondé par Marcel Déat en 1941 avait su séduire par exemple les époux A. Lui, Raymond A, 35 ans, peintre en bâtiment à Compiègne et elle, Lucie A, 31 ans, sans profession. Ils sont parents d’un garçon de 12 ans et sont tous deux adhérents au RNP. De plus, le mari en est le secrétaire régional. Ils sont accusés d’avoir fait de la propagande pour le travail en Allemagne et ils s’y sont rendus comme volontaires en 1942. Egalement au RNP, Renée L. 33 ans, institutrice à Compiègne, mariée, 2 enfants ou encore Eugène B. 21 ans, ouvrier d’usine domicilié à Rantigny, célibataire et qui sait à peine lire et écrire.
Il semblerait que le RNP ait eu beaucoup d’adhérents dans l’Oise (selon le dossier de Nampon Albert jugé par la Cour de Justice de l’Oise). La répartition géographique révélait qu’il y avait des mouvements de collaboration très florissants à Précy-sur-Oise (dans l’arrondissement de Senlis), exemple : 9 personnes pour le RNP.
Le RNP est suivi de loin par le PPF (26 dossiers). On peut évoquer le cas de Noé G, 44 ans, chirurgien à Beauvais depuis 1932 et y résidant, marié, 4 enfants et qui fut condamné à 20 ans de Dégradation nationale et à 10 d’interdiction de séjour dans l’Oise.
Enfin, on trouve quelques dossiers de membres du COSI (Comité Ouvrier de Secours Immédiat dont l’action était de constituer des équipes de déblaiement et à donner les 1ers secours et dont le Président était Favard, lequel était également dirigeant du PPF et entretenait des relations avec Mme Douls) et des « Amis de la LVF » (Ligue des Volontaires Français qui allaient se battre sur le Front de l’Est pour la plupart et sous l’uniforme allemand).

L'aide directe ou indirecte à l’Allemagne
En fait, ce chef d’accusation recouvre plusieurs situations. Il y a d’importantes différences d’appréciation sur ce que constitue cette « aide » évoquée dans l’ordonnance du 26 août 1944. Cela va du travail pour les allemands (en Allemagne ou en France ou les deux) à leur ravitaillement, à la fréquentation « amicale » de l’ennemi en passant par les relations intimes avec eux.
  • Le travail volontaire en Allemagne.
Pour ce qui est du travail volontaire en Allemagne, j’ai pu constater qu’il y avait autant de femmes (17) que d’hommes, souvent célibataires. Leurs motivations ne sont pas mentionnées mais on peut imaginer que l’attrait d’une paie plus élevée (chômage en France), de l’aventure ou des convictions idéologiques peuvent expliquer ce choix.
Nous observons le cas de Fernand B. 40 ans, commerçant à Liancourt, marié, 1 enfant et qui est parti volontairement travailler en Allemagne où il est resté du 10 novembre 1940 au 20 août 1943. De retour, il s’est rendu acquéreur d’un camion qu’il a mis à disposition d’une firme travaillant pour les autorités militaires allemandes (il a écopé de 10 ans de dégradation nationale, de la confiscation de la moitié de ses biens et de 5 ans d’interdiction de séjour dans l’arrondissement de Clermont). Sa collaboration a été continue pendant toute l’occupation.
Ou encore, la situation de Lucette C. 21 ans, célibataire résidant à Saint Germer de Fly qui a travaillé en Allemagne et également pour l’ennemi une fois rentrée en France.

  • Le travail pour les Allemands
L’autre gros bataillon est fourni par le travail pour les allemands en France, (36 en tout) et là d’une manière peut-être logique (type d’emploi : secrétaire, cuisinières et surtout femmes de ménage) le nombre de femmes est supérieur à celui des hommes.
Comme précisé précédemment dans « Aide directe ou indirecte à l’Allemagne » sont impliqués ceux qui ont fréquenté les allemands ou les collaborateurs par « proximité idéologique » ou par volonté de nuire aux voisins ou collègues de travail… Cependant dans ces dossiers il ne s’agit que d’une poignée. Enfin sont concernés les individus qui ont eu des rapports « cordiaux » avec les allemands et notamment les femmes ayant eu des relations intimes avec l’ennemi (17 femmes dont une a été tondue).
Pour conclure il y a les « convaincus » (environ 13) qui ont à la fois appartenu à un parti collaborateur (ou à des partis), et qui ont travaillé en Allemagne ou pour les allemands.


Les peines


La dégradation nationale
La peine principale est celle de Dégradation Nationale, peine infamante qui entraîne la mise au ban de la société du condamné. Cette peine le prive de beaucoup de droits, comme les droits civiques (vote, élection, éligibilité), exclusion des fonctions publiques ou semi-publiques, perte du rang dans les forces armées et du droit à porter des décorations (liées par exemple à la 1ère guerre mondiale), exclusion des fonctions de direction dans les entreprises, les banques, la presse et la radio, de toutes fonctions dans les syndicats et organisations professionnelles, des professions juridiques, de l’enseignement et du journalisme.
Par exemple les fonctionnaires perdent leur droit à pension, d’où les demandes de grâces et des amnisties qui commenceront leur « œuvre » dès 1947 mais surtout en 1951 et 1953.
Dans l’Oise 31 dégradations nationales sont prononcées à vie, dont 16 par contumace (d’ailleurs lorsque l’accusé est en fuite ou qu’il ne se présente pas devant le tribunal, la peine est plus lourde). Ensuite cela va de 5 à 20 ans. La plus grande partie est condamnée à 5 ans de dégradation nationale (70dossiers), 45 personnes ont reçu 10 ans, 23 ont écopé de 20 ans de Dégradation nationale et 21 à 15 ans.
Un exemple de dégradation nationale à vie : Marguerite B. épouse L. 31 ans, domiciliée en dernier lieu à Angy, mariée, ouvrière en chaussures. Elle fréquentait les Allemands de façon habituelle, saluait à la mode hitlérienne, se livrait à la débauche avec eux. Elle est de plus, fortement soupçonnée d’avoir participé à des actions de pillage étant habillée en soldat allemand. Dans son dossier on voit une photo où elle pose en compagnie de soldats ennemis. Au moment de la Libération, elle s’est enfuie avec eux

Les autres peines
Le tribunal peut également prononcer des interdictions de séjour sur un territoire donné (arrondissement, ville, Oise et/ou départements limitrophes) pendant également 5 à 20 ans mais aussi la confiscation de tout ou partie des biens du condamné. C’est le cas dans l’Oise pour 23 d’entre eux, dont 9 ont vu la confiscation de tous leurs biens.



Il manque dans ces dossiers les motivations des individus, certains aspects sont flous, les peines peuvent être différentes pour des accusations identiques (même si cela dépend des circonstances, des témoignages et surtout de la date du procès).  La fin de la période est moins sévère. J’ai compté 52 relaxes sur toute la période dont 18 en septembre 1945, soit sur le dernier mois.
Il faudrait par ailleurs faire une synthèse avec le travail de Françoise Rosenzweig-Leclère pour être plus pertinent et faire des comparaisons avec d’autres départements.
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