Le Centre de Réception et de Triage des Prisonniers de Compiègne (CRTPG)
par Jean-Yves Bonnard
Durant la Campagne de France (mai – juin 1940), 1 845 000 soldats français ont été capturés par les armées du Reich. Retenus en captivité dans des camps en Allemagne, les officiers sont détenus dans 14 Oflags tandis que les sous-officiers et soldats sont détenus dans 55 Stalags.
Le 31 juillet 1940, Georges Scapini se voit confier par le maréchal Pétain la mission d'intervenir auprès des autorités allemandes pour "aplanir les difficultés qui pourraient affecter le sort de nos prisonniers". Nommé ministre plénipotentiaire (décret du 20 août 1940) puis ambassadeur de France (décret du 22 septembre 1940), il devient chef du Service diplomatique des Prisonniers de Guerre. Par l'accord franco-allemand du 16 novembre 1940, il reçoit pour nouvelle mission de s'assurer du respect de la Convention de Genève dans les camps, visite les camps et négocie auprès des Allemands des retours anticipés. En outre, il reçoit et gère les demandes des familles et les interventions en faveur des prisonniers puis, à partir de 1941, des secours financiers aux familles.
Les premières démobilisations
Afin d'organiser la démobilisation des prisonniers, un camp de transition est installé à Constance (pays de Bade) sous l'autorité du colonel von Gemmigen le 1er juin 1940. Le Heilag V A (Heimkehrlager, camp de retour au foyer) démobilise ainsi 25 163 prisonniers français notamment par la Suisse.
Les premiers convois de prisonniers de guerre rapatriés ont pour destination Châlons-sur-Marne.
Création du CRTPG de Compiègne
Début juillet 1941, un accord entre l’Allemagne et le régime de Vichy crée à Compiègne un Centre de Réception et de Triage des Prisonniers de Guerre (le CRTPG).
La caserne Jeanne d’Arc sera réservée à l’installation des services allemands et le quartier Bourcier sera réaménagé pour permettre l’accueil du premier convoi le 21 août 1941. Ce jour-là, le général Huntziger, ministre français de la Guerre, inspecte les nouvelles installations compiégnoises
Le 11 août 1942, le premier convoi de 1300 prisonniers de guerre libéré au titre de la Relève arrive à Compiègne en provenance des stalag iA et IB.
Le Heilag ferme en mars 1944 et est pris en charge par le Frontstalag 122.
Témoignage d'André Poirmeur, in Compiègne 1939-1945, 1968.
Heilag et C.R.T.P.G.
Le camp allemand, le Heilag, appellation barbare née de la contraction du mot composé Heimkehrlager, - camp de retour au foyer -, était placé sous l’autorité du colonel Von Gemmingen, ancien officier du Kaiser et préfet de Metz à l’arrivée des Français en 1918, châtelain des bords du lac de Constance. Il parlait un français impeccable ainsi que son interprète, originaire de Genève. Il ne semble pas que ce colonel ait été hitlérien car il a fait preuve, maintes fois, de compréhension et de sympathie discrète envers des prisonniers «resquilleurs» et des israélites que cette mesure de libération ne touchait pas.
Le 21 août 1941, après une inspection des aménagements des casernes par le ministre de la Guerre, le général Huntziger, signataire de l’armistice de 1940. le premier convoi de prisonniers libérés entrait en gare de Compiègne après avoir traversé la nouvelle frontière à Novéant, en Meurthe-et-Moselle, et les gares du parcours sur lequel se pressait la population qui, avide de nouvelles, leur distribuait boissons et douceurs, tout en espérant découvrir un proche ou un ami.
À leur descente des wagons à bestiaux, il leur fut servi du vin et du bouillon, et le déroulement des opérations fut sensiblement le même par la suite. L’homme de confiance du convoi remettait au Sonderführer du Heilag. la liste des prisonniers qui étaient comptés une première fois et rassemblés en rangs dans la cour de la gare pour y entendre, après leurs épuisantes journées de voyage, des discours fastidieux. Le délégué de Laval, Chasseigne, et André Masson, commissaire général du Mouvement Prisonnier, leur vantaient les bienfaits de la collaboration et les invitaient à acclamer la France qu’ils applaudissaient tous, cependant Pétain, Laval et l’orateur n’obtenaient que des murmures désapprobateurs. En colonne par cinq, comptés de nouveau, -il en manquait toujours quelques-uns qui, méfiants, avaient réussi à se libérer eux-mêmes-, encadrés par les Allemands, les rapatriés étaient dirigés au Heilag et croisaient sur le parcours, en dehors de la population compiégnoise, des parents et des amis qui leur adressaient des signes pleins de tendresse et qui avaient été prévenus par des inconnus sollicités dans les gares des départements traversés. Au Heilag, nouveau dénombrement et contrôle minutieux. Les formalités pour établir des certificats de libération ou des congés de captivité duraient trois heures, et par groupes de cinquante les rapatriés étaient dirigés dans une grande salle dans laquelle ils abandonnaient leurs effets militaires considérés comme butin de guerre, puis, dans le plus simple appareil, souvent par un grand froid, ils franchissaient le portillon qui s’ouvrait sur le bureau français du C.R.T.P.G. dans lequel l’assurais mon emploi. Le premier prisonnier qui le franchit fut le sous-officier Dubois, venu du Stalag 1 B aux environs de Hohenstein, en Prusse Orientale. Comme Bidasse, il était de la ville d’Arras.
Nous inscrivîmes son identité sur une feuille qui porta le n°1 au composteur et qu’on lui remit, ainsi qu’une serviette, du savon, il passa aux douches voisines, tandis que ses affaires personnelles étaient étuvées. Il en fut ainsi pour tous. Un triage médical méticuleux les attendait, après quoi on leur remettait leurs affaires personnelles. Ils recevaient ensuite du linge de corps, un costume, béret et chaussures neufs. Dans la salle de la consigne ils déposaient leurs bagages et étaient informés de la lettre et de la couleur attribuées à leur région et que les rapatriés devaient signaler pour obtenir les renseignements les concernant, ainsi que les horaires des départs et les itinéraires.
À cette consigne, plus de 400000 colis ont été reçus et remis sans une seule erreur, ni préjudice quelconque, ce qui est à l’honneur du personnel. Sur le circuit organisé, un bol de bouillon leur était offert au passage, ils se présentaient ensuite aux tables du Service de Rapatriement, chaque table portant les couleurs de leurs régions accompagnées de la lettre qui avaient été communiquées à chacun des rapatriés. Leur ordre de transport était établi et ils recevaient plus loin une avance sur la prime de démobilisation. du tabac, des tickets d’alimentation, des mandats pour le remboursement des Lagermarks (marks des camps). Mais il y avait aussi dans le circuit un bureau parasite, celui du Mouvement Prisonnier, de Masson, non prévu par le Commandant du centre, et qui s’était installé là de connivence avec l’officier surnommé «Suivons le Maréchal !». Les libérés, se croyaient tenus de s’y présenter et s’y voyaient remettre, comme dans les foires, journaux, cartes d’adhésion, insigne de la Francisque et réclamer une cotisation de 50 francs, Soit plus du salaire journalier d’un employé, à l’époque, Masson ayant appris que le personnel conseillait aux P.G. d’éviter ou de refuser ces éléments de propagande, demanda des sanctions qui resteront sans effet, grâce à la solidarité du personnel qui jura être étranger à l’objet de la plainte. Masson en conçut un violent dépit et clama qu’il était grand temps de mettre de l’ordre dans la maison, car, disait-il. «ils n’ont pas encore compris». Il se trompait fort. Abreuvés de nouveaux discours élogieux sur Pétain, les rapatriés avaient un avant-goût de ce qui les attendait. et reprenaient le chemin de la gare. Nous eûmes la possibilité de converser avec eux et de recueillir des renseignements sur les conditions de vie dans les camps d’où ils venaient et sur leurs expériences. La plupart avaient été témoins de scènes horribles : les premiers gardes mobiles libérés nous affirmèrent avoir vu des chars blindés nazis broyer des prisonniers soviétiques parqués dans des rues sans issue et à qui il était impossible de s’enfuir.
Nous retrouvions les uns et les autres des camarades de régiment, des vedettes. des artistes, des sportifs, tel Rigoulot, très amaigri, qui fit quelques démonstrations, déchirant en deux parties un jeu de cartes, au grand ébahissement de tous.
En mars 1942. par une note confidentielle. «Suivons le Maréchal» créait un service de mouchardage, chargeant les sous-officiers de dénoncer les membres du personnel hostiles au nouveau régime. Il fallait répondre aux questions : qui, quoi, où, quand. par qui, etc. Une employée, femme de prisonnier et mère de famille, subit une peine de suspension de travail de quinze jours en date du 22 avril 1942, pour ce motif : propos diffamants à l’égard du Maréchal. Porteur lui-même de la francisque, cet officier entendait que tous l’imitassent, mais bien peu s’exécutèrent. Il rabroua le délégué du personnel, conseiller municipal de Margny-lès-Compiègne et frère d’un colonel, qui lui remettait la note de revendications que lui-même l’avait chargé de
remplir. «Retirez-vous et ne me touchez pas avec vos mains visqueuses». préciser-il, en lui arrachant la note incriminée. Le personnel avait formulé des revendications ! Admirateur de Laval que tout le monde haïssait, il fit accrocher ses portraits en dépit de la vive opposition de son capitaine adjoint et interdit l’écoute de la B.B.C. au mess des sous-officiers. La fortune des armes changeant de camp, le commandant «Suivons-le-Maréchal» démissionna le 31 août 1943, rentra dans l’ombre, reparut à la Libération et plaida le double jeu, obtint de l’avancement, peut-être en raison de son intimité avec le général de Gaulle qu’il avait connu à l’école des chars et qu’il accablait de toutes les injures peu de temps auparavant.
Les autorités du Centre étaient tourmentées : la radio de Londres annonçait l’arrivée attendue des convois de rapatriés, pourtant tenue secrète, la quantité, leurs catégories, le nombre de malades, le parcours et les dates. Employé au Service des Transports. qui était en liaison téléphonique avec Novéant, je m’empressais de les communiquer à Londres par l’entremise des agents de liaison. J’étais pourtant soupçonné d’être un membre de la Résistance et mes collègues de bureau, dont Trognon et Jacques Lefèvre, me dirent avoir entendu des officiers exprimer
des doutes quant à mon loyalisme. Aussi me firent-ils la leçon selon Vichy, après mon internement à Compiègne et à Saint-Quentin. Mais la résistance faisait tache d’huile parmi le personnel, de même que la répression. Les employés Laville, les deux frères Héraude et Georges, un des fils de Salgues, moururent en déportation. À la Libération, Trognon, reprenant du service, sauta avec ses hommes sur une mine en Normandie. Grièvement blessé au ventre, il a pu se rétablir grâce à sa robuste constitution.
En 1944, un renversement d’opinion se manifesta parmi les officiers, lesquels jusqu’alors étaient restés inactifs ; il y avait pourtant, dans un local du quartier, un dépôt d’armes en excellent état, dont ils connaissaient l’existence et qui aurait pu servir.
Personnels du CRTPG
Colonel von Gemmigen, commandant le Heilag
Commandant Levert, commandant le centre
M. Courrier, médecin principal
Paul Plonquet
André Poirmeur
Maurice Dusehu