Epuration politique

 L'épuration politique
par Jean-Pierre Besse, notice créée le 20 juin 2003

Le gouvernement provisoire s'est doté très tôt d'un arsenal juridique pour poursuivre les collaborateurs et les juger. En vertu des pouvoirs de justice qui lui sont conférés, le préfet peut prendre des arrêtés visant à l'internement administratif des personnes "dangereuses pour la défense nationale et la sécurité publique". Le plus souvent, il peut ainsi mettre à l'abri de la vindicte populaire des personnes accusées de collaboration. Les dossiers des personnes internées, ainsi que ceux de celles soupçonnées de collaboration mais pas touchées par les mesures d'internement, sont ensuite examinés par divers organismes, en particulier par la commission d'épuration du CDL, qui décident alors de les classer ou de les renvoyer à la justice, c'est-à-dire soit à la cour de justice, soit à la chambre civique, soit au comité de confiscation des produits illicites, soit à d'autres organes chargés de l'épuration.
La cour de justice instituée par l'ordonnance du 26 juin 1944 est la version miniature des cours d'assises traditionnelles. Elle juge les fautes les plus graves et se compose d'un juge et de quatre jurés tirés au sort parmi une liste de résistants établis par le CD L. La cour de justice de l'Oise commence à fonctionner en novembre 1944. A partir de 1er octobre 1945, elle est rattachée à celle de la Somme, ce qui soulève la vigoureuse protestation du CDL. La chambre civique est appelée à juger des délits de moindre gravité comme les adhésions à des organisations de collaboration et les attitudes hostiles à la Résistance passibles d'indignité nationale. Dans l'Oise, elle tient sa première audience le 28 décembre 1944.
Au niveau national, 126 020 personnes sont internées entre septembre 1944 et avril 1945 ; 36 377 sont libérées dans les premières semaines ; 86 589 dossiers sont transmis à la justice. 7 037 condamnations à mort sont prononcées dont 4 397 par contumace, il y a 767 exécutions ; 13 211 peines de travaux forcés à perpétuité, ou à un temps limité, sont prononcées et 40 249 peines de dégradation nationale.

Sources :
RIOUX Jean-Pierre, La France de la IVe République, l'ardeur et la nécessité, 1944-1952, Points Histoire, Points Histoire, Paris, Le Seuil, 1981, 314p - BESSE Jean-Pierre, La situation politique dans le département de l'Oise en 1945, Annales historiques compiégnoises n°61-62, automne 1995.
L'épuration politique dans l’Oise
par Jean-Pierre Besse, notice créée le 20 juin 2003

Dés le mois de février 1945, la presse et les organisations de Résistance dénoncent la lenteur et la mollesse de l'épuration. Les critiques les plus sévères viennent de Libé-Nord, Maurice Segonds signe certains de ses articles, Fouquier-Tinville et déclare en avril 1945 "au sujet de l'épuration, les Résistants auraient dû la faire à la Libération alors qu'ils possédaient des armes".La lenteur de l'épuration n'est pas seulement critiquée par les Résistants, elle l'est aussi par certains représentants de l'Etat. Le commissaire du gouvernement près de la cour de justice de l'Oise écrit au préfet le 2 mars 1945 pour lui demander d'accélérer la transmission des dossiers.
Les chiffres viennent-ils confirmer cette impression de lenteur et de mollesse ressentie par la population ?
A la fin de décembre 1944, 762 personnes ont fait l'objet d'un arrêté d'internement administratif au centre de séjour surveillé de Clermont. Le nombre augmente fortement en janvier avant de se stabiliser à partir de février légèrement au dessus de 900. Cela ne signifie nullement qu'il y a 900 personnes à Clermont, certains internés ont été entre temps libérés. En juillet 1945, par exemple plus des deux tiers des personnes ayant fait l'objet d'une décision administrative ont été remises en liberté par arrêté préfectoral.
Le département de l'Oise est l'un des plus répressifs du pays avec un taux de dix-neuf internements pour 10 000 habitants.
Au total, dans l'Oise, 938 personnes ont fait l'objet d'un internement administratif parmi lesquelles 328 femmes. Les causes les plus souvent invoquées sont la collaboration ( 319 cas), la dénonciation (154 cas), le marché noir et la collaboration économique représentent une centaine de cas ce qui expliquent sans doute que les cultivateurs (17,2%) et les commerçants (8,9%) soient les catégories les plus nombreuses.
Selon le rapport du préfet de juin 1946, la commission d'épuration du CDL a examiné 2 749 dossiers, 1 298 ont été transmis à la cour de justice, 244 à la chambre civique, 411 aux comités de confiscations et 766 (28% du total) ont été classés.
Sur les 1 298 dossiers transmis à la cour de justice, 609 ont été classés par le commissaire du gouvernement et quarante-huit personnes ont été acquittées. La cour de justice a prononcé vingt six condamnations à mort. Deux condamnés ont été exécutés. Six ont été graciés et dix-huit peines capitales ont été prononcées par contumace. La cour a prononcé quatre-vingt-quinze peines de travaux forcés dont cinq à perpétuité, vingt et une peine de réclusion, deux-cent dix-neuf peines de prison, quarante-huit amendes, soixante-douze confiscations des biens et cent-soixante six interdictions de séjour.
La chambre civique, de son coté, a prononcé deux-cent quatre vingt-dix-neuf indignités nationales et quatre-vingt-dix-huit interdictions de séjour et trente-trois confiscations de biens. Elle a classé neuf dossiers et prononcé soixante-dix-huit acquittements.

Maurice Segonds, alias Fouquet-Tinville,

rédacteur au Libérateur

(caricature du Matin du 14 mai 1949).


Définition des cas d'indignité nationale

(d'après le Journal officiel)


  1° Avoir fait partie, sous quelque dénomination que ce soit, des gouvernements ou pseudo-gouvernements ayant exercé leur autorité en France entre le 16 juin 1940 et l'installation sur le territoire métropolitain du Gouvernement provisoire de la République française;


  2° Avoir occupé une fonction de direction dans les services centraux, régionaux ou départementaux de la propagande desdits gouvernements;


  3° Avoir occupé une fonction de direction dans les services centraux, régionaux ou départementaux du commissariat aux questions juives;


  4° Être devenu ou demeuré adhérent, postérieurement au 1er janvier 1941, même sans participation active, à un organisme de collaboration quel qu'il soit, et spécialement à l'un des groupements suivants : le Service d'ordre légionnaire, la Milice, le Groupe collaboration, la Phalange africaine, la Légion des volontaires français, la Légion tricolore, les Amis de la Légion des volontaires français, le Parti national collectiviste, le Parti fasciste, le Parti populaire français, le Mouvement social révolutionnaire, le Rassemblement national populaire, le Comité ouvrier de secours immédiat, le Service d'ordre prisonnier;


  5° Avoir participé à l'organisation de manifestations artistiques, économiques, politiques ou autres en faveur de la collaboration ennemie;


  6° avoir publié des articles, brochures ou livres ou fait des conférences en faveur de l'ennemi, de la collaboration avec l'ennemi, du racisme ou des doctrines totalitaires.

Arrêts de la Cour de justice

Condamnés à mort

Julien Delos, peine capitale, exécuté

Gérard Paisan, peine capitale, dégradation nationale et confiscation de ses biens (10 août 1945), exécuté le 13 octobre 1945


André Cauchemez, peine capitale (septembre 1945)

Robert Mesnard, peine capitale (septembre 1945)

René Dauchy, peine capitale, confiscation de ses biens, dégradation nationale, par contumace (septembre 1945)

Marcel Favart, peine capitale, confiscation de ses biens, par contumace (septembre 1945)

Roger Laporte, peine capitale, par contumace (1er octobre 1945)

Claude Laporte, peine capitale, par contumace (1er octobre 1945)

Jean Deschamps, peine capitale, par contumace  (1er octobre 1945)

René Lechopier, peine capitale (octobre 1945), pourvoit en cassation rejeté (novembre 1945)

Anicet Delheis, peine capitale, par contumace (novembre 1945), tué à Buchenwald

Yvonne Vincenot, peine capitale, par contumace (novembre 1945)

Georges Grandjean, peine capitale, par contumace

Robert Billa, peine capitale, par contumace

Jean Manin, peine capitale, par contumace

Roger Carré, peine capitale par contumace

Louis Da Costa, peine capitale, par contumace

Christophe Krestowikoff, peine capitale par contumace

Jacques Nugues, peine capitale par contumace (avril 1946)

Jean Backeland, peine capitale par contumace (avril 1946)

Maurice de Rycke, peine capitale par contumace (avril 1946)

Jeanine Amand, peine capitale par contumace, (avril 1946)



Condamnés aux travaux forcés (bagne)

Séraphin Wambach, 20 ans (juillet 1945)

Pierre Beauchamps, 20 ans et 20 ans d'interdiction de séjour, par contumace (juillet 1945)

Gaston Renard, 20 ans et 20 ans d'interdiction de séjour, par contumace (juillet 1945)

Edmond Poelger, 20 ans, 20 ans d'interdiction de séjour et confiscation de ses biens, par contumace (juillet 1945)

Léon Douls, 20 ans, 20 ans d'interdiction de séjour et indignité nationale (août 1945), jugement cassé puis confirmé (octobre 1945)

Louise Blin, 10 ans, 10 ans d'interdiction de séjour et indignité nationale (août 1945)

Frédéric Carchereux, 20 ans, 20 ans d'interdiction de séjour, indignité nationale, confiscation de ses biens (septembre 1945)

Maurice Vasseur, 20 ans, 20 ans d'interdiction de séjour (septembre 1945)

Emile Mesnard, perpétuité (septembre 1945)

André Monnier, 20 ans, 20 ans d'interdiction de séjour, indignité nationale à vie (septembre 1945)

Géo Rivenez, perpétuité et indignité nationale, par contumace (septembre 1945)

Guy Giraud, 20 ans, 20s d'interdiction de séjour et indignité nationale (septembre 1945)

Roland Rigaud, 20 ans, 20 ans d'interdiction de séjour et indignité nationale (septembre 1945)

Félix Cinqueux, 20 ans, 20 ans d'interdiction de séjour, par contumace (1er octobre 1945)

Raoul Dubourget, 10 ans, 20 ans d'interdiction de séjour, par contumace (1er octobre 1945)

Raymond Latour, 10 ans, 20 ans d'interdiction de séjour, par contumace (1er octobre 1945)

Roger Guilbert, 10 ans, 20 ans d'interdiction de séjour, par contumace (1er octobre 1945)

Albert Duflaux, 20 ans, 20 ans d'interdiction de séjour (1er octobre 1945)

Robert Manlay, 15 ans, indignité nationale (octobre 1945)

Simone Boulet, 15 ans, dégradation nationale (octobre 1945), pourvoit en cassation rejeté (novembre 1945)

Francis Toullin, 20 ans (novembre 1945)

Georges Payen, 20 ans, 20 ans d'interdiction de séjour (novembre 1945)

François Café, perpétuité (décembre 1945)

Jeanne Michel, par contumace (décembre 1945)

Paul Bouvy, par contumace (décembre 1945)

Pierre Schnel, par contumace (décembre 1945)

André Baillon, par contumace (décembre 1945)

Armand Deburre, 20 ans et 10 ans d'interdiction de séjour (décembre 1945)

William Cabiati, 10 ans, 20 ans d'interdiction de séjour et confiscation de ses biens (décembre 1945)

Camille Danner, 8 ans, 20 ans d'interdiction de séjour (décembre 1945)

Marcel Pascal, 20 ans (avril 1946)

Jacques Charlean, 20 ans (avril 1946)

Condamnés à la réclusion

M. Chantepie, 10 ans, 5 ans d'interdiction de séjour et à l'indignité nationale

Georges Tétard, 7 ans, 10 ans d'interdiction de séjour et confiscation de ses biens (juillet 1945)

M. Cabiati, 10 ans, 20 ans d'interdiction de séjour et confiscation de ses biens (décembre 1945)

Mme Coquel, 5 ans, 5 ans d'interdiction de séjour et l'indignité nationale (janvier 1945)

André Déan, 20 ans (avril 1946)



Condamnés à la détention

Alphonse Smessaert, 3 mois, 10 000 francs d'amende et indignité nationale (janvier 1945)
Mme Dammame, 3 mois et à l'indignité nationale (janvier 1945)

Victor Kerko, 3 ans, 10 000 francs d'amende (janvier 1945)

Camille David, 2 ans et 10 ans d'interdiction de séjour (janvier 1945)

Paul Gervaise, 5 ans et 20 ans d'interdiction de séjour (décembre 1945)

Georges Hérard,  3 ans (décembre 1945)


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