Luchy - affaire Mullot

L'affaire Alfred Mullot, de Luchy
par Jean-Yves Bonnar
d, mise à jour le 30 janvier 2024


Le 17 mai 1940, un décret inséré au JO le lendemain porte création des gardes territoriaux afin de participer à la recherche et à l'arrestation de parachutistes allemands. Dès le 13 mai cependant, une circulaire préfectorale adressée aux maires de l'Oise, reprenant des instructions du gouvernement, les invite à constituer cette garde civile en recrutant des hommes parmi, notamment les anciens combattants. Forts de ces instructions, les gardes territoriaux mènent des patrouilles et réalisent quelques arrestations d'aviateurs abattus parachutés. C'est dans ce contexte de participation des civils dans les affaires militaires que se déroule l'affaire Mullot, de Luchy.

Un chasseur lourd allemand en flamme

Le lundi 20 mai 1940, vers 17h30, une formation de bombardiers allemands Heinkel 111 escortés par des avions de chasse Messerscmitt BF 110 (Me110) est prise à partie au nord de Beauvais par une escadrille française. Douze Morane 406 du GC III/3 se lancent dans la défense de la ville préfecture et ouvrent le feu. Le sergent Edouard le Nigen parvient à mettre hors de combat le Me 110 piloté par l'unteroffizier Wilhem Ross du 9./ZG 26 (Zerstörergeschwader : escadron de chasseur lourd) 

L'avion allemand tombe en flamme dans un champ près du hameau de Rougemaison, à Luchy, au lieu-dit La Banque. Le pilote et son mitrailleur, parvenus à se parachuter, touchent le sol près de la D11. Le mitraillleur, Alfred Welzel (ci-contre), est blessé aux jambes. Le pilote, Wilhelm Ross, est indemne.

Des civils (habitants, gardes territoriaux et réfugiés) prennent à partie les deux aviateurs tandis que des soldats du 106e Régiment d'Artillerie tentent de les récupérer.

Dans cette confusion, un coup de feu est tiré par un militaire français qui abat le pilote allemand d'une balle dans la tête. Un sergent-chef du 106e RA s'interpose entre la foule et le radio-mitrailleur qui est ensuite arrêté. Soigné, envoyé en captivité, il est libéré avec l'armistice.

Le corps du pilote Wilhelm Ross est enterré en bordure de route. Il repose aujourd'hui dans le cimetière militaire allemand de Beauvais.

Recouvrant la liberté, le mitrailleur Alfred Welzel rend compte des circonstances de son arrestation. Une enquête est alors menée par la police militaire qui trouvera son coupable...

 Un procès pour l'exemple
L'enquête menée par la police militaire allemande quelques semaines après l'armistice se déroule sur les lieux-mêmes du drame. L'autopsie du pilote démontre qu'il a été tué d'une balle dans la tête. Le militaire français à l'origine du coup de feu n'ayant pas été identifié, les enquêteurs interrogent la population et un cultivateur de la commune, Alfred Mullot, par ailleurs membre de la garde territoriale armé d'un fusil à chevrotines, est arrêté le 2 août dit-on sur dénonciation d'un 'témoin" ouvrier agricole. Emprisonné à Gand, il est rapatrié à Beauvais pour être jugé sur la place de Luchy le 12 septembre 1940 de manière très théâtrale. Le mitrailleur Alfred Welzer est alors présent, la jambe emmaillotée, et dit ne pas reconnaître le cultivateur. Il ira, ce jour là, sur la tombe de son pilote, comme le montre le reportage photographique réalisé à cette occasion. Le cultivateur se défend en invoquant le fait qu'il n'a pas fait usage de son arme et qu'il agissait en tant que garde territorial.
Même si l'arme de l'accusé ne peut être celle qui a tué Wilhelm Ross, Alfred Mullot est condamné à mort, sort réservé aux civils considérés comme franc-tireurs. Deux jours plus tard, le secrétaire général de l'UMRAC de l'Oise, M. Baranger, saisi la préfecture, arguant du fait que le garde territorial agissait sur ordre de l'autorité civile et demandant une intervention rapide du préfet qui serait "la seule chance de sauver un home dont la vie toute de labeur et de devoir mériterait une autre fin". De son côté, Mme Mullot fait un recours en grâce pour son mari auprès des autorités françaises. Retenu coupable, l'accusé est envoyé en prison en Allemagne. La peine d'Alfred Mullot est cependant commuée en détention pour cinq années puis réduite. Il revient à Luchy à la mi 1942.

Le véritable responsable du tir contre le pilote allemand, un soldat du 106e RA probablement, ne sera pas retrouvé. Durant les semaines qui suivent ce procès fortement médiatisé, la position de la préfecture de l'Oise sera de défendre les gardes territoriaux qui ont répondu aux injonctions gouvernementales. Le mitrailleur allemand, quant à lui, reprend du service et décède le 7 août 1941.

Sources :
Arch. Départ. Oise 33 W 8242.
ANDRIEU Claire, When Men Fell from the Sky: Civilians and Downed Airmen in Second World War Europe, Cambridge University Press, 2022.
MAVRE Marcel, La guerre 39-45 dans le ciel de l'Oise, 2006.
article de Jean-Louis Roba in site https://www.avions-bateaux.com/uploads/attachment/produit//produit_3846_0f3ed015422262c0e3cab6041cfd81b9.pdf
site https://falkeeins.blogspot.com/2020/01/the-luchy-trial-iiizg-26-pilot-murder.html
Remerciement à Frédéric Gondron pour sa relecture.

Le procès par un tribunal militaire allemand sur la place de Luchy.

La sépulture du pilote Wilhelm Ross.

Après sa libération des camps de PG, le Gefreiter Alfred Wetzel revient à Luchy sur la tombe de l’Uffz Wilhelm Ross.

Alfred Mullot lors de son procès.


 

Pour aller plus loin


Extrait de Le procès de Luchy,  collection histoire des unités n°12, p.18-20.

in site https://www.avions-bateaux.com/uploads/attachment/produit//produit_3846_0f3ed015422262c0e3cab6041cfd81b9.pdf


   "Le procès de Luchy
  Le 20 mai 1940, lors d’une escorte de He 111 vers Beauvais, deux Bf 110 du III./ZG 26 sont abattus par le Sgt Édouard Le Nigen du GC III/3. Un des bimoteurs s’écrase à Luchy le long de la route Amiens-Beauvais, ayant été évacué à temps par ses deux occupants.
Les aviateurs touchent terre dans un champ entre la route et le hameau de Rougemaison. Le pilote, l’Uffz Wilhelm Ross, est alors pris à partie par des réfugiés avant d’être abattu d’une balle dans la tête par un soldat ou un officier français, les unités en retraite se mélangeant très souvent (et parfois intentionnellement) avec les civils. Un sergent-chef du 106e régiment d’artillerie va alors s’opposer à une foule hystérique, ce qui dut permettre au radio-mitrailleur, le Gefr Alfred Wetzel, de ne pas subir le sort de son pilote. Wetzel partira en captivité, étant libéré après la chute de la France.
  Ross sera inhumé un temps en bord de route. Les hostilités sur le continent étant terminées, une enquête sera menée par l’autorité allemande. Ross ne fut pas, et de loin, le seul aviateur allemand assassiné par des militaires ou des civils sur base d’un ordre imbécile et criminel promulgué par les autorités militaires françaises suivant lequel tout parachutiste devait être abattu. Il sera revu vers le 20 mai après que plusieurs aviateurs français et britanniques eurent péri sous les balles “amies”. Malgré la répétition de ces crimes gratuits, l’autorité allemande désira en faire peu de publicité, Probablement pour ne pas rappeler le souvenir de ces quelques francs-tireurs d’août 1914 dont les actions désordonnées avaient entraîné de sanglantes représailles incontrôlées et disproportionnées en Belgique ainsi que dans le Nord de la France.
  On s’étonne donc de voir le “cas de Luchy” générer un procès que l’on taxerait de nos jours de “médiatisé”. Le militaire français responsable n’ayant pas été identifié, on mit en accusation le fermier Alfred Mullot de Rougemaison qui, voyant tomber l’appareil, avait gagné de suite les lieux avec son fusil de chasse. Il avait été dénoncé par un autochtone comme étant l’assassin. Le “témoin”, un ouvrier agricole, aurait semble-t-il désiré “régler ses comptes” suite à une de ces banales et médiocres querelles de village. Mullot fut arrêté dès le 2 août 1940 et emprisonné un temps à Gand. Ramené à Beauvais, il fut jugé de manière très théâtrale le 12 septembre sur la place même du village de Luchy, les photos de ce “procès” étant répandues dans la presse. Bien que Wetzel, témoin à cette “audience”, déclarât ne pas le reconnaître, le fermier sera néanmoins condamné à mort. Sa peine sera cependant très vite commuée en cinq années de prison. Après une année et demie dans le Reich, il sera renvoyé à Luchy (où il décédera en 1980). Ce retour prouve que, finalement, personne ne l’avait sérieusement considéré comme étant le tueur et que le “procès de Luchy” ne fut qu’une mascarade.
  Il génère cependant bien des questions. Pourquoi l’autorité allemande déploya-t-elle autant d’énergie inutile pour cette mise en scène alors qu’un simple examen de la dépouille de Ross aurait permis de relever qu’il fut tué par une balle tirée par un militaire et non par le fusil de chasse d’Alfred Mullot ? Pourquoi de même avoir déployé pareille publicité pour condamner un innocent (même si, entraîné par les événements, il s’était quelque peu comporté en franc-tireur) alors qu’on en fit pourtant bien moins pour les quatre civils condamnés à mort et exécutés suite au massacre d’un équipage de la KG 54 à Vimy le 18 mai 1940 ? Fut-ce là l’initiative malencontreuse d’un responsable allemand local… On ne le saura probablement jamais.."


MULLOT Alfred

Emprisonné, condamné

par Jean-Yves Bonnard, mise à jour le 30 mars 2024


Né  le 16 avril 1896 à Luchy, Alfred Mullot sert durant la Première Guerre mondiale dans le 2e escadron du train des équipages (du 9 avril au 20 août 1915), au 42e Régiment d'Artillerie (du 20 au 28 août 1915), au 84e Régiment d'Artillerie puis au 284e Régiment d'Artillerie du 29 août 1915 au 30 juillet 1919).

Cultivateur, marié à Valentine Mullot et père de quatre enfants, il est nommé dans la garde territoriale de Luchy.

Le 20 mai 1940, il assiste à l'atterrissage d'un avion allemand en flamme, armé de son fusil à chevrotines, tandis qu'intervient un groupe de soldats cantonné à Rougemaison. Au cours de cette intervention, un aviateur allemand est tué.

Quelques semaines après l'armistice, le 2 août 1940, Alfred Mullot est arrêté par la police militaire allemande. Emprisonné à Gand, il est ramené à Beauvais pour être jugé à Luchy même, sur la place du village. Le 12 septembre, il est condamné à mort par un tribunal militaire allemand sous l'inculpation d'avoir agi en franc-tireur.

Un recours en grâce est établi par son épouse. Sa peine est alors commuée en cinq années de prison en Allemagne. Il sort un an et demi après. Pendant sa détention, il écrit à son épouse pour continuer à diriger sa ferme de Rougemaison et accompagner l'éducation de ses enfants. Libéré, il regagne Luchy, commune où il décède en 1980.


Sources

AD Oise 33 W8242 - 

site https://www.avions-bateaux.com/uploads/attachment/produit//produit_3846_0f3ed015422262c0e3cab6041cfd81b9.pdf - 

Remerciements à la famille Mullot.

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