Marseillais

Les Marseillais
par Jean-Yves Bonnard

A la suite du débarquement des Alliés en Afrique du Nord, le 11 novembre 1942, les Allemands franchissent la ligne de démarcation et envahissent toute la France. Marseille voit arriver les premiers Allemands dès le lendemain. Rapidement, la Résistance s'organise contre l'occupant et fomente des attentats notamment dans le quartier du Vieux-Port réputé malfamé. Des représailles contre les habitants du quartier, considéré comme un repaire de mauvaises gens, sont diligentées par Himmler et mises en pratique avec le soutien de la police française.
Les attentats de l'hiver 1942-1943
Le 2 décembre 1942, les hôtels Astoria et Rome sont la cible d'attentats à la bombe tuant un soldat allemand. Un mois plus tard, le 3 janvier 1943, une bombe explose à l'hôtel Splendid où logent des officiers de l'état-major allemand. Dès le lendemain, l'état de siège est promulgué dans la ville.
Himmler décide alors l'application de mesures définitives contre le quartier du Vieux-Port considéré comme malfamé. Dans un télégramme adressé au chef de la police allemande en France, Kar Oberg, il expose ses décisions: "Le Fuhrer est très mécontent de l'état des choses à Marseille. Il a été décidé ce qui suit: le quartier du Vieux-Port, qui est connu pour être un refuge de la pègre internationale, doit être immédiatement évacué par la population. En même temps que l'évacuation, on procèdera à une visite du quartier du port pour y découvrir des passages souterrains et des dépôts cachés; sur quoi, pour des raisons militaires, le quartier sera abattu par le Génie de la Wehrmacht".
Une orchestration par la police française et l'armée allemande
Une semaine plus tard, le 13 janvier, Oberg reçoit René Bousquet, secrétaire d'Etat à l'Intérieur,  le préfet de région M. Lemoine et le préfet des Bouches-du-Rhône, René Chopin. Il leur déclare que "l'autorité allemande veut nettoyer de tous les indésirables les vieux quartiers et les détruire par la mine et le feu".
Par la suite, les représentants de l'Etat Français obtiennent d'Oberg que cette opération serait menée par la police française sur un périmètre réduit et que les populations évacuées seraient regroupées dans un camp dans le sud de la France. Quelques jours plus tard, pour répondre aux exigences allemandes, des policiers, des gendarmes et de Groupements Mobiles de Réserve (GMR) sont mobilisés, soient 800 hommes en uniforme que rejoindront 1100 inspecteurs de Paris et de la zone sud.

René Bousquet en réunion à l'hôtel de ville de Marseille avec le chef de la police allemande à Marseille, Bernhard Griese, le 23 janvier 1943.
Les rafles des 22 et 24 janvier 1943
L'organisation de l'évacuation étant minutieusement préparée, sa mise en oeuvre sera parfaitement réglée. Le 22 janvier en soirée, tandis qu'un nouvel attentat a frappé des soldats allemands dans un tramway, près de 400 000 personnes sont contrôlées par les services de police français et la troupe allemande. 5956 personnes sont arrêtées et 30 sont écrouées dans la prison des Baumettes.
Le dimanche 24, à six heures du matin, les habitants du Vieux-Port sont prévenus par hauts-parleurs qu'ils ont deux heures pour quitter leur domicile avec des bagages à main et des vivres pour 48 heures.
La police française, appuyée par les forces allemandes, regoupe 12 000 Marseillais dans la gare d'Arenc qu'elle convoie au camp de Caïs,  centre d'hivernage des troupes coloniales durant la Grande Guerre, à Fréjus.

Le lendemain, un premier convoi de 1642 personnes est constitué en gare d'Arenc. Parmi eux, 1300 détenus des Baumettes et 300 personnes détenues au commissariat central de Marseille (l'Evêché). Elles effectueront un voyage de 35 heures dans des wagons de bestiaux, debout, sans eau, nourriture ni couvertures puis seront débarqués le 26 janvier 1943 à Compiègne. Le 31 janvier, un second convoi quitte Fréjus pour la même destination.
La destruction du quartier du Vieux-Port
Dès l'évacuation des quartiers, les maisons font l'objet de pillage. Le 1er février, le Génie allemand procède à la pose d'explosifs. Le dynamitage commence le lendemain relayé par des entreprises françaises pour s'achever le 19 février, réduisant en ruines 1494 immeubles.
Des reportages de propagande vichyste relateront cette opération de démolition décrite comme  une phase de travaux et de nettoyage de la pègre nécessaire pour le bien être de la ville.
Les Marseillais de ces quartiers, libérés du camp de Fréjus, ne pourront revenir à leur domicile démoli et devront être hébergés chez leurs proches.
Au camp C de Royallieu
Arrivés au camp de Royallieu, les femmes et les enfants (dont des nourrissons) sont regroupés dans les baraquements C1 et C5 tandis que les hommes occupent les C2, C3, C6 et C7.
Si, à l'issue des contrôles d'identité faits entre le 30 janvier et le 5 février, 42 Marseillais sont relâchés, les autres sont détenus dans une grande promiscuité. L'hygiène est alors déplorable et la mortalité est importante (une quarantaine de morts par mois en janvier, février et mars; une soixantaine en avril, mai et juin) comme a pu le constater le docteur Abraham Drucker.
Dans cette situation, plusieurs détenus tentent de s'évader. Quatre parviendront à quitter le camp le 22 février, mais les cinq internés qui ont tenté de s'enfuir dans la nuit du 9 au 10 avril sont morts sous les balles des sentinelles allemandes.
Plusieurs Africains seront requis par l'Organisation Todt pour aller travailler pour la construction du Mur de l'Atlantique. D'autres pourront regagner le sud.
Comme prévu par l'autorité allemande, les internés vont connaître la déportation. Le 10 mars, les 782 juifs marseillais sont transférés de Compiègne à Drancy avant d'être déportés à Sobibor.
Puis, le 28 avril, 600 Marseillais sont déportés depuis la gare de Compiègne à destination d'Orianenbourg-Sachenhausen (ils porteront les n°64 000). Les derniers seront déportés à Buchenwald et Mauthausen par d'autre convois.
Le drame de Marseille est encore vif pour beaucoup d'habitants. Un avocat marseillais, Me Pascal Luongo, s'appuiera sur les travaux menés par l'historien Michel Ficetola pour faire reconnaître ces rafles comme un crime contre l'humanité, fait que la justice française reconnaîtra en 2019.
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