Le stockage des V1 à Saint-Leu-d-Esserent

 Le stockage des V1 dans les carrières de Saint-Leu-d’Esserent
par Jean-Pierre Besse, notice créée le 20 juin 2003
mise à jour par Jean-Yves Bonnard le 6 décembre 2024
Les V1
Les vergeltungswaffe, armes de représailles, sont des avions sans pilote, chargés de bombes, lancés sur la Grande-Bretagne à partir du 13 juin 1944. Environ la moitié de ces bombes volantes ont pu être interceptées.
Leur fabrication est entreprise dès 1939. Le V1 pèse environ deux tonnes avec, à l'avant, 850 kilogrammes d'explosifs, sa vitesse peut atteindre 650 km par heure et il vole à une altitude comprise entre 250 et 300 mètres. Devenu opérationnel en 1942, le V1 est fabriqué dans le tunnel de Dora.
Pour assurer son lancement, il est nécessaire de construire des rampes de lancement qui sont installées en Belgique et dans le Nord de la France.
En 1943, les carrières de Saint-Leu d'Esserent sont investies par Allemands pour installer une usine de montage et un stockage des V1.

Exposition d'un V1, d'après Robert Gallas.

 Une usine souterraine désaffectée
Les carrières de Saint-Leu-d'Esserent sont exploitées jusqu'au début du XXe siècle avant d'être utilisées pour la culture du champignon de Paris.
Dès octobre 1939, par crainte des bombardements allemands, l'usine métallurgique de Creil-Montataire
Brissonneau & Lotz déplace une partie de sa production de fuselages de bombardiers LéO 45 dans la vaste carrière souterraine du Couvent, à Saint-Leud'Esserent. Un millier d'ouvriers travaillent à partir de janvier 1940 dans ces galeries au sol bétonné, pourvues de ventilations, de chauffages ainsi que de cantines et de dortoirs sur 3000 m².  Après l'armistice, les carrières sont mises en sommeil.
Durant l'occupation, l'armée allemande réquisitionne le château de la Guesdière, l'école des garçons et construit des baraquements pour les hommes de troupes. A partir de décembre 1941, des munitions destinées à la base de Creil furent stockées dans les carrières.

L'usine de montage d'avion dans les carrières.

Le stockage à Saint-Leu d'Esserent
En mai 1943, le 155 Flak Regiment W installe sur 10 ha dans les carrières du Couvent et de Saint-Christophe une usine de montage de V1 construits dans l'usine de Peenemunde. Le site, baptisé Léopold, doit stocker 4 000 V1 maximum. Des maçons, des terrassiers sont recrutés pour, leur dit-on, construire une caserne. Les chemins d'accès sont bétonnés, un raccordement à la ligne SNCF Paris-Lille est effectué au niveau de l'aiguillage du "Petit-Thérain".
En décembre 1943, la 155 Flak Regiment W prend possession de Saint-Leu-d'Esserent, à partir de cette date on n'accepte plus de Français.
Fin février 1944, le stockage commence, des convois d'une trentaine de wagons arrivent quotidiennement en provenance de Nordhausen et déchargent 90 V1. A la fin de l'hiver, le dépôt est plein, commence alors le transport vers les rampes de lancement du Nord de la France. Transport par camions ou par voies ferrées.Ce dépôt avancé (Feldmulag) est ouvert le 1er juin 1944 et alimente 70% des V1 tirés durant ce mois. Des ouvrages fortifiés sont construits dans le bassin creillois (batteries de DCA, bunkers, dépôts d'armes, de munitions, de carburant…) pour défendre le site.
 Les bombardements de Saint-Leu d'Esserent
Pour lutter contre ces bombes volantes dirigées sur Londres de juin 1943 à août 1944, les Alliés lancent en décembre 1943 l'opération Crossbow (Arbalète). Il s'agit de détruire les sites de stockage et les rampes de lancement.
Les Alliés sont informés de l'activité du site notamment grâce aux renseignements fournis par les FTP du groupe Valmy, par les réseaux Marco Polo et Octave, ou par l'Intelligence Service. 
Ainsi, à Saint-Leu d'Esserent, Léon Carbon, responsable Front National, participe à des sabotages dans le détachement Valmy tandis que son épouse transporte des tracts, des messages et des journaux clandestins. L'Hôtel de l'Oise, dirigé par Henriette Peyre, devient un lieu de réunions des résistants FTP du bassin creillois. L'un d'entre eux, Marcel Coëne, s'installe chez Madeleine Rifflard et y cache un dépôt d'armes. Ce réseau permet à deux enrôlés de force dans l'armée allemande d'origine alsacienne, Pierre Michel et Joseph Reith, de livrer de précieux renseignements sur les installations de V1.
L'un des plans dressé par la Résistance, daté du 5 mai 1944 est ainsi reçu à Londres le 4 juin et diffusé le 20 juin suivant.
Du 17 mars au 28 août 1944, Saint-Leu-d'Esserent subit dix-huit bombardements imposant à la population demeurée sur place de se réfugier dans des galeries souterraines aménagées en dortoirs, comme celles du Prieuré, de la rue Dernier Bourguignon ou la carrière des Danses.
Le message “Ce soir nous irons à la bonne aventure”, envoyé sur les ondes de la BBC début juillet, prévient les résistants du bombardement des carrières proches de la maison du garde-barrière M. Bonnaventure. Dans la nuit du 4 au 5 juillet, 231 Lancasters déversent leurs bombes sur le site. Au cours de cette opération, la RAF perd treize avions détruits par la chasse de nuit de la Luftwaffe, dont sept s'écrasent dans le département de l'Oise. 
Dans la nuit du 7 au 8 juillet, 1138 tonnes de projectiles sont lancés par 221 bombardiers de la RAF qui perd 31 Lancasters abattus par la chasse allemande et la DCA allemande (la Flak).
De nouveau, le 5 août, 431 bombardiers de la RAF larguent 2000 tonnes de bombes sur la commune.
Un Halifax touché par la Flak s'abat au sud-est de la ville, tuant ses huit occupants. Les carrières souterraines résistent bien aux bombardements et le site fonctionne jusqu'en août 1944. Des prisonniers soviétiques et des déportés du travail sont utilisés pour évacuer les déblais et travailler aux carrières. Logés dans un camp près de Mouy ou à Précy-sur-Oise, mal nourris, certains s'évadent et sont cachés dans des maquis, comme à Saint-Vaast-les-Mello.
Les installations souterraines et une partie des V1 sont détruites par les Allemands lors de leur retraite. Une grande partie des 1600 habitants ayant été évacués, la ville n'a à déplorer que 16 morts parmi les civils. 

Photographie aérienne alliée

du site de Saint-Leu-d'Esserent le 15 juin 1944.

 L'entrée des carrières fortifiées par les Allemands

après les bombardements alliés.

 Saint-Leu d'Esserent martyr
A la Libération, les troupes américaines s'emparent du dépôt à 80% intact.
Pour avoir subit de terribles bombardements, la ville de Saint-Leu-d'Esserent reçoit la Croix de guerre 19139-1945 avec cette citation à l'ordre du Régiment : “ Cité ouvrière ayant supporté quatre années d'occupation au cours desquelles la population subit les exigences de l'ennemi. Soumise à des bombardements aériens violents, supportés avec sangfroid, a été sinistrée à 85%.”
L'exploitation des carrières reprend en 1948.




Sources
Archives ANACR-Oise - Arch. Nat. site de Pierrefitte-sur-Seine, Archives du BCRA, AG/3(2)/166, Parc et dépôts, Oise.

Bibliographie
BONNARD Jean-Yves, Les communes décorées de l'Oise Croix de Guerre 39/45, ONACVG de l'Oise, janvier 2016, p.67-68.

Cadre contenant le diplôme et la citation à l'ordre de l'armée visible en mairie de Saint-Leu-d'Esserent, cl. JY Bonnard

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