Mémoire déportation

Mémoire de la déportation dans l'Oise

Compiègne
par Jean-Yves Bonnard

A Compiègne, l’après-guerre s’ouvre dans le culte du souvenir. Il faut, d’une part, purifier la Clairière de l’Armistice (1944) et reconstruire tous ses monuments anéantis par les nazis (1950). Il faut, d’autre part, honorer les victimes de la déportation.
Une plaque commémorative en gare de Compiègne
Le 14 juillet 1945, une première plaque est apposée sur le quai de la gare de Compiègne. Elle indique : « Souvenez-vous toujours pour que la paix et la justice règnent sur les hommes et pour la défense des libertés mondiales, que 50 000 patriotes français ont été embarqués sur ces quais en 1942 – 1943 – 1944 à destination des bagnes allemands où ils subirent les plus abominables tortures ».
Le président de la République Vincent Auriol, venu assister aux cérémonies de commémorations du trentième anniversaire de l'armistice de 1918, viendra déposer une gerbe de fleurs le 11 novembre 1948 devant cet aménagement mémoriel que l'on dénommera bientôt le "Quai des déportés". Il se rendra ensuite au monument aux morts, à la Clairière de l'Armistice puis, après une réception à l'hôtel de ville en présence du sous-secrétaire d’État à la Fonction Publique Jean Biondi, maire de Creil, il achèvera son parcours mémoriel au camp de Royallieu pour y déposer une gerbe de fleurs.
Le premier monument commémoratif du camp de Royallieu
Dès la fin de guerre, un hommage aux déportés est rendu par la création d'une dalle inclinée à la manière d'un tombeau orné d'une Croix de Lorraine. Derrière elle, un cadre en treillage de fils de fer barbelés, réalisé par les prisonniers allemands détenus dans le camp, rappelle les douleurs de la déportation. Il est orné de motifs représentant une Croix de Lorraine et un triangle frappé d'un "F" évoquant le marquage nazi pour distinguer les déportés français. L'accès principal est renommé Avenue des martyrs de la Liberté.

Le 7 mars 1948, lors de sa visite à Compiègne, le général de Gaulle viendra s'incliner devant le monument de Royallieu après s'être rendu à la Clairière de l'Armistice.

En avril 1951, une urne contenant de la terre provenant de quatre camps de déportation est portée depuis l'hôtel de ville de Compiègne jusqu'à la dalle où elle sera scellée.
Le projet de Monument National du Souvenir
En 1946, les fédérations d'anciens combattants, des prisonniers de guerre, des déportés et internés, et des déportés du travail s'unissent pour ériger à Compiègne un monument national du souvenir. Placé sous le haut patronage de Vincent Auriol, président de la République, et de François Mitterrand, ministre des anciens combattants et des victimes de guerre, le comité exécutif est présidé par M. de Barron, secrétaire général de l'Union des Anciens Combattants Français.
Le projet, conçu par André Bruyère (auteur du monument français du camp de Mauthausen) et dessiné par le sculpteur Emmanuel Auricoste, consiste en une tour de 17m de haut, portant "autant de vides que de départements en deuil". Prévu pour être érigé à 200m de l'entrée du camp de Royallieu, au carrefour de l'Abbaye en bordure de la route Verberie-Compiègne, ce monument ne verra pas le jour en raison des vives critiques dans la presse réprouvant le parti architectural puis l'avis négatif de la Commission nationale des monuments commémoratifs.

Les Journées nationales du Souvenir à Compiègne
Nommé ministre des Anciens combattants et des Victimes de guerre, le communiste Laurent Casanova organise des commémorations durant quatre jours à Compiègne. Du 15 au 18 août 1946, la ville de Compiègne raisonne au son des musiques du souvenir à l'occasion du retour de Berlin de la dalle sacrée de la Clairière de l'Armistice (le 17 août).
Si la première journée est vouée à la commémoration de la Première Guerre mondiale à la Clairière de l'Armistice, celle du lendemain est dédiée à des activités sportives et culturelles (diffusion d'un film). Le mauvais temps fait annuler le meeting aérien prévu.
Le 17 août, des manifestations patriotiques parcourront  la ville, menées par des délégations de déportés venant de toutes la France et de toutes les obédiences politiques, provoquant des tensions dans les rangs. En présence des ministres Marcel Paul et Edmond Michelet, rescapés de Buchenwald, des hommages sont rendus au camp de Royallieu aux déportés politiques, à la caserne Bourcier aux prisonniers de guerre et à la gare aux déportés du travail.
Le dernier jour sera consacré à la pose de la première pierre du monument national du souvenir...

Des journées objet de reportages audiovisuels
Ces quatre journées historiques feront l'objet de reportages d'actualité cinématographique.
Le premier a été réalisé par CinéFrance et est  intitulé Compiègne lieu de souvenir et d'espoir. Ce film de 8 minutes 45 tourné en 35mm peut être lu sur le site ciné-archives du fonds audiovisuel du PCF (cliquez sur l'image).
Un autre reportage, plus court (55 secondes), a été réalisé par Les Actualités Françaises et est intitulé Deux ans après. Il peut être lu sur le site de l'INA (cliquez sur l'image).

Affiche des manifestations du Souvenir à Compiègne.


      Vignette évoquant les manifestations du Souvenir de Compiègne.

La plaque commémorative du quai du Harlay
C'est en 1951 que c'est plaque métallique est inaugurée à l'emplacement du pont provisoire établi sur l'Oise en remplacement de celui en pierre détruit en 1940. Elle rappelle le souvenir des 48 000 Français l'ayant franchi entre 1941 et 1944 pour se rendre en gare de Compiègne avant d'être déportés vers les bagnes nazis.
Ces travaux ont été menés en collaboration avec l’Association des Amis de l’Armistice.
Le deuxième monuments des déportés
En 1952, un nouveau monument des Déportés est édifié à proximité du camp de Royallieu.
Cette stèle rappelle qu' "ICI 48 000 patriotes partis du camp de Royalllieu ont été déportés vers les bagnes nazis"

Un monument similaire est érigé en  gare de Compiègne en 1959.

Le cadre en fils de fer barbelés du premier monument des déportés sera déposé au musée de la Libération, situé dans l'Hôtel des Invalides à Paris.
Le Monument des Déportés
Le 7 mai 1972, un nouveau Monument des Déportés est inauguré à proximité du camp de Royallieu redevenu un casernement militaire.
Présidé par le préfet de l'Oise, M. Bruneau, le comité recevra des dons provenant de 87 départements, de centaines de communes françaises et de nombreuses associations de Déportés, de Résistants d'anciens prisonniers et d'anciens combattants.
Le projet, imaginé par Michel Legendre, architecte des Bâtiments de France, intègre le précédent monument dans un aménagement mémoriel conçu par le sculpteur Georges Muguet. L'esplanade, en pierres blanches, est bordée d'un mur en pierre où sont gravées des scènes de déportation particulièrement émouvantes. Derrière, flottent au vent six drapeaux. Au centre, un flambeau en bronze, ravivé lors des cérémonies, est porté par deux mains semblant sortir du sol, entravée par des fils de fer barbelés.
Parmi les personnalités présentes le jour de l'inauguration figurent M. Duvillard, ministre des anciens combattants et le grand chancelier de l'Ordre de la Libération.
La stèle du dernier train
Inaugurée le 21 août 1988 à proximité du carrefour Bellicart, cette stèle rappelle le lieu d’embarquement des déportés du camp de Royallieu dans le dernier train à destination de Buchenwald le 17 août 1944. Partis le lendemain dans la chaleur de l’été, les 1250 déportés arrivèrent au camp allemand le 21 août 1944 pour un long internement.
Cette stèle et son allée d'honneur, initiées par les déportés Jacques Vigny, Alfred Robert et Max Brézillon, seront  réalisées par l'entreprise de ce dernier.
Le Mémorial de l'internement et de la déportation
du camp de Royallieu
En 1993, sous le gouvernement d’Edouard Balladur, un plan de restructuration des unités militaires décide la dissolution du 51e RT et le départ du 25e RGA. Ces mesures doivnt conduire à la fermeture de la caserne de Royallieu et de la base aérienne. Une négociation est alors menée entre la ville de Compiègne et deux hauts-fonctionnaires désignés par le gouvernement. La disparition des zones militaires laisse entrevoir la possibilité de gagner cinquante hectares de terrain urbanisable dont vingt-deux sur Royallieu.
Le site représentant un poids historique fort, la ville obtient comme mesure compensatoire de l’Etat une contribution financière de deux millions d’euros pour la création d’un musée mémorial sur le site cédé par le Ministère de la Défense. Après de longues discussions, ce projet voit le jour onze ans après le départ du 51e RT.
L'aménagement architectural et la scénographie sont confiées à Jean-Jacques Raynaud en 2005, la scénographie audiovisuelle à Bruno Rabiche et la réalisation du parcours historique à Christian Delage. La première pierre est posée en mai 2007.

Le 23 février 2008, le Mémorial de l’internement et de la déportation ouvre ses portes en présence de l’animateur télévisé Michel Drucker, militaire à Royallieu durant son service national et dont le père a été détenu dans le camp durant la guerre.

La ville de Compiègne se lance dans la valorisation de cette friche militaire en réalisant un vaste projet urbain permettant de relier les quartiers de Royallieu, La Victoire, Les Acacias, Le Puy du Roy et Le Clos des Roses pour en faire « un ensemble homogène, cohérent et agréable à vivre ». Le site est choisi pour l’implantation de la nouvelle polyclinique Saint-Côme qui ouvrit ses portes en mars 2009.


Le quai des déportés
En ce début de XXIe siècle, le quai des déportés de la gare de Compiègne va connaître une émulation mémorielle qui mettra en concurrence plusieurs organismes.
En 2000, le Souvenir Français érige une stèle en marbre noir au bout du quai des déportés. Ce dernier est classé monument historique par arrêté du 7 septembre 2001.
L'année suivante, en 2002, les Fils et Filles des déportés juifs de France érigent à leur tour une stèle similaire à celle du Souvenir Français.
Puis, en 2003 une association du Mémorial du Wagon de la déportation est créée.
Depuis 2010, deux wagons semblables à ceux de déportation sont aménagés près du quai en mémorial.
Sources :
Bonnard Jean-Yves, Histoire militaire de Compiègne, éd. du Trotteur Ailé, 2012.
Lagrou Pieter, Compiègne, lieu de mémoire de la déportation, in Mémorial de l'internement et de la déportation Camp de Royallieu, 2008.
Pilot Marc, Mémoires des guerres Compiègne - Royallieu, Annales historiques compiégnoises n°127-128, 2012.
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