Population et camp Royallieu

La population et le camp de Royallieu
par Jean-Pierre Besse

Comment les habitants de Compiègne et des environs ont-ils vécu à proximité du camp ?
Comment ont-ils réagi à la traversée de la ville, entre le camp et la gare, par ces convois d'hommes et de femmes ?

Nous avons deux témoignages d'internés juifs :
"Du camp, les Allemands qui nous encadraient nous ont fait pénétrer dans une sorte de hangar où nous avons eu la pénible surprise de trouver cent gendarmes commandés par un capitaine, dont j'ignore le nom, qui nous prend en charge. Aussitôt, on nous a groupés par deux, enchaînés par deux, grâces à des menottes, en présence de plusieurs officiers allemands qui assistaient muets à cette opération. Nous avons ainsi parcouru les 4 ou 5 kilomètres qui séparaient le hangar de la gare, traversant les faubourgs et une partie de la ville, la population donnait des signes visibles de tristesse et d'indignation. Les Légions d'honneur, les médailles militaires de plusieurs d'entre eux n'étaient pas une des moindres causes des sentiments que manifestaient les assistants".

Et un autre :
"Devant nous, quatre sections de vingt-cinq gendarmes français bien alignés, propres, au garde à vous. A l'appel des nos noms, les gendarmes sortent de leurs sacoches des menottes qu'ils nous passent aux poignets, nous sommes enchaînés deux par deux... On nous forme en colonnes et nous partons à pied, par la route nationale, pour rejoindre la gare de Compiègne. Au bout de quelques instants, les gendarmes s'aperçoivent à quelle sorte de prisonniers ils ont à faire. Ils voient des boutonnières avec la Légion d'honneur, ou la médaille militaire, ou la croix de guerre et ils s'efforceront, par leur attitude, de se faire pardonner la mauvaise action de leurs chefs... Dans la gare de Compiègne, les voyageurs nous regardent défiler stupéfaits. Nous devons paraître bien misérables car, sans que rien n'ait été sollicité, les voyageurs nous passent les vivres qu'ils ont avec eux.."
Plaçons nous maintenant, sous un autre angle de vue. Dans son rapport du 25 mai 1942, le commandant de section de la gendarmerie de Compiègne écrit :
"Sur ordre des autorités allemandes et sur demande du préfet de police, la gendarmerie de la région parisienne a procédé au transfert de 183 internés juifs depuis le camp de Royallieu jusqu'à celui de Drancy. Un détachement de 100 gendarmes et gradés appartenant aux forces de Paris-Nord-Ouest."
Dans son rapport du 19 mars 1943, le capitaine Marchal, commandant de la section, note :
"L'état physique déplorable des détenus et le fait que cette mission pénible incombait à la gendarmerie française ont produit une vive émotion parmi la population. Il est indispensable de ne plus confier ces opérations aux forces de police française qui voit tous les jours son prestige et sa réputation diminuer sensiblement".
Quant au reste de la population, s'il apparaît, selon certains témoignages, que des habitants de Compiègne sont venus en aide à certains évadés du camp, on constate toutefois que parmi la liste des personnes arrêtées dans le département qui compte plus de 600 noms, trois l'ont été pour avoir apporté de l'aide aux internés ou avoir transmis des lettres pour leurs proches.
Plusieurs personnes, souvent des femmes, ont été arrêtées puis déportées pour avoir fait passer des messages aux internés. Ainsi, René Bisseux, arrêté le 12 décembre 1943 pour avoir transmis de la correspondance. En livrant de la paille au camp, il aurait reçu une lettre d'un détenu.

Sources :
SHGN, 1939-1945, 60 E, 60 E 210- 60 E 91- 60 E 207- 60 E 357- 60 E 209- 60 E 94- 60 E 173, 174- 60 E 219- 60 E 180, 015 312, rapports de la Gendarmerie nationale, département Oise - AD Oise, 33 W 8 255 - Klarsfeld Serge, La Shoah en France, Paris, Fayard, 2001, 1000p .




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