Rafle-Boulincourt

La rafle de Boulincourt (16-17 juin 1944)

par Jean-Pierre Besse et Jean-Yves Bonnard

Au cours de la journée du 16 juin 1944, le hameau de Boulincourt (commune d’Agnetz), où vivent une centaine d’habitants adultes, subit trois descentes de la Feldgendarmerie à la recherche de Résistants. La région de Clermont est en effet animée par plusieurs groupes placés sous l’autorité de Georges Fleury, membre de l’Organisation Civile et Militaire (OCM). L’un d’entre eux, composé de seize hommes commandés par l’industriel Charles Roguet, dit « le châtelain d’Agnetz », est actif sur Agnetz. Plusieurs de ses membres habitent Boulincourt. Le hameau est aussi une couverture pour plusieurs réfractaires au STO , originaires de diverses régions françaises, qui y ont trouvé un emploi et des secours. Enfin, la forêt abrite des déserteurs russes ou ukrainiens ravitaillés par des habitants du lieu.

Dans la nuit du 16 au 17 juin 1944, trois cent cinquante à quatre cents soldats de la Wehrmacht, encadrés par des officiers du S.D., investissent le hameau de Boulincourt et ferment toutes les voies d’accès. Une cinquantaine d’hommes sont arrêtés, regroupés et interrogés pour obtenir des renseignements sur la Résistance.

Sans doute, les derniers événements survenus dans le secteur sont-ils à l’origine de cette descente. Selon Jean-Claude Minet , « La région, d’ailleurs, n’est pas aussi calme qu’elle y paraît, les Allemands y ont déjà subi quelques déboires : le 9 mars 1942, un de leurs avions est abattu à Agnetz ; le 18 août 1943, le train Creil-Amiens y déraille. Deux jours plus tard, le 20, la voie ferrée est à nouveau sabotée et le maire, Marceau Anselme, est arrêté avec deux autres habitants. Si l’un d’entre eux, André Paroissien, est libéré, le maire et Marcel Benoit écopent chacun de 4 mois de prison avec sursis. Il faut aussi signaler la présence, à Agnetz, d’un membre des FTPF , Maurice Magnier, dit "Eugène", qui fut chargé de participer à l’évasion collective de la prison d’Amiens.

Le 8 juin 1944 un train de munitions est bombardé à La-Rue-Saint-Pierre, à quelques kilomètres, 30 wagons sautent. Les Allemands ont-ils pensé que des résistants ont transmis un renseignement ?

Deux jours plus tard, le 10 juin, un camion allemand chargé de mines et se dirigeant vers la Normandie est pris à partie par l’aviation alliée et explose à Gicourt, commune d’Agnetz comme Boulincourt, causant de gros dégâts. Les Allemands ont-ils cru qu’une action de renseignement a permis cette action?

 Quelque temps plus tôt, un officier allemand, qui a l’habitude de se promener à cheval en forêt et qui exige un salut poli des gens qu’il rencontre, n’est pas rentré de promenade. On n’a retrouvé que le cheval… Ont-ils voulu venger leurs soldats tués ? C’est possible mais il n’a pas été possible de le vérifier.
.D’autre part, des forces allemandes considérables sont concentrées dans la forêt de Hez toute proche où travaillent des hommes de Boulincourt : des tanks « Tiger » y sont camouflés. S’agit-il de les protéger en frappant de terreur les résistants dont les Allemands connaissent l’existence sans avoir jamais pu les identifier, les localiser exactement, ni, a fortiori, les neutraliser ? Ont-ils tiré profit de bavardages inconsidérés ? Un café de Saint-Laurent, alors hameau de la commune d’Agnetz, le café Carchereux, est très fréquenté par les occupants et les collaborateurs locaux. On y parle parfois trop (…) Ce sont ces déserteurs allemands qui ont fait sauter la station de radioguidage du mont César. »

A l’issue de cette rafle, vingt hommes valides sont arrêtés, interrogés puis transférés au camp de Royallieu. Il s’agit de Raymond Benoist, André Bousselet, André Demouy, Robert Dumez, Marcel Gondry, Georges Hardivillé, Emmanuel Lagneau, Henri Lambert, Raymond Le Métayer, Marcel Lépine, Raoul Leurart, René Mallard, Aurélien Massé, Charles Moranvillé, André Orget, Valentin Scheldeman, Silvio Serradimigni, Arsène Tallon, Joseph Van Lacker et Robert Weiss.
D’autres actions de représailles sont menées dans les environs. Ainsi, Henri Pauquet, maire résistant de la Neuville-en-Hez, et maître Fernand Delarue, notaire à Bresles, sont pris en otage et transférés à Royallieu.


Tous les raflés de Boulincourt seront déportés par train vers le camp de Neuengamme par le convoi du 15 juillet 1944. Sur les 1.522 déportés de ce convoi, 663 rentreront de déportation. Du groupe des vingt hommes de Boulincourt, trois seulement reviendront vivants du camp de concentration : André Demouy, Sylvio Serradimigni et Joseph Van Lancker. Les autres sont morts ou disparus en déportation.
Henri Pauquet et maître Delarue, quant à eux, seront aussi détenus à Neuegamme dans des conditions moins éprouvantes : classés parmi les « prominents KZ-Häftling », les détenus privilégiés, ils bénéficieront d’un relatif régime de faveur.
A l’initiative de l’abbé Gentilhomme et de la commune d’Agnetz, une chapelle sera érigée par souscription publique à la mémoire des déportés de la rafle du 17 juin 1944.

Dans le hameau de Boulincourt, une stèle à croix de Lorraine dite « des Déportés » sera élevée place des Déportés, à la croisée des rues Georges Hardivillers, rue Raymond Benoist et rue Charles Morenvillers. Une plaque posée à son pied indique « Les habitants de la commune qui n’ont pas oublié le 17 juin 1944 ».


D’autres déportés donneront leur nom à des rues d’Agnetz (André Demouy, Henri Lambert, Joseph Van Lancker, Robert Weiss) tandis qu’une rue du 17 juin 1944 rappelle la tragédie. Enfin, le nom d’André Bousselet sera donné à une place et celui de Sylvio Serradimigni sera donné au stade d’Agnetz.


Les raflés de Boulincourt

Benoist Raymond, né le 9 février 1912 à Breuil-le-Vert, mort en déportation le 12 mars 1945.
Bousselet André, né le 3 juin 1914 à Litz, mort en déportation le 10 mai 1945 à Malchow, avant le rapatriement.
Delarue Fernand, né le 27 septembre 1890 à Roisel (Somme), revenu de déportation le 8 mai 1945.
Demouy André, né le 20 février à Agnetz, mort le 28 décembre 1975 des suites de sa déportation.
Dumez Robert, né le 26 août 1813 à Gournay-sur-Aronde, mort le 31 décembre 1944 à Neuengamme.
Gondry Marcel, né le 22 avril 1922 à Villers-Saint-Paul, mort en déportation le 26 janvier 1945 à Farge.
Hardivillé Georges, né le 14 juin 1905 à Agnetz, mort en déportation le 31 juillet 1944.
Lagneau Emmanuel, né le 29 octobre 1904 à Percy-le-Grand (74), mort en déportation le 11 mars 1945 à Bremen.
Lambert Henri, né le 26 août 1926 à Rantigny, mort en déportation en décembre 1944.
Le Métayer Raymond, né le 17 juin 1907 à Paris, mort en déportation le 13 décembre 1944 à Farge.
Lépine Marcel, né le 9 avril 1905 à Caen, mort en déportation le 17 avril 1945 à Ravensbrück.
Leurart Raoul, né le 26 juin 1910 à Nogent-sur-Oise, mort en déportation le 12 mai 1945 à Rotenburg avant son rapatriement.
Mallard René, né le 12 août 1906 à Lamecourt, mort le 8 février 1945 à Hamburg.
Massé Aurélien, né le 3 septembre 1914 à Agnetz, mort en déportation le 31 juillet 1944.
Morenvillé Charles, né le 4 janvier 1925 à Agnetz, mort le 16 mai 1945 à Rotenburg avant son rapatriement.
Orget André, né le 20 septembre 1906 à Fournival, mort en déportation le 12 janvier 1945 à Watenstedt.
Pauquet Henri, revenu de déportation.
Scheldeman Valentin, né le 2 avril1899 à Gelnveld (Belgique), mort en déportation le 15 décembre 1944 à Farge.
Serradimigni Silvio, né le 20 mai 1917 à Modena-Montefiorino (Italie), revenu de déportation le 3 mai 1945.
Tallon Arsène, né le 26 novembre 1891 à Villers-Saint-Paul, mort en déportation le 4 mai 1945 à Hamburg
Van Lancker Joseph, né le 28 septembre 1917 à Agnetz, revenu de déportation en mai 1945, il décède en 1990.
Weiss Robert, né le 10 juillet 1921 à Agnetz, mort en déportation le 26 avril 1945 à Sandbostel.

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