Rafle de la région de Breteuil (2 août 1944)
par Jean-Pierre Besse
Un rapport adressé le 15 février 1945 par la mairie de Bacouël à la préfecture donne une première version des faits :
« En notre commune, cinq hommes ont été emmenés par la gestapo et déportés en Allemagne. Ils ont été arrêtés le 3 août 1944 dans la nuit et emmenés à Beauvais, caserne Agel, où ils sont restés jusqu’au 15 août. A cette date, sont partis pour Compiègne – Royallieu qu’ils ont du quitter le 17 août à destination du camp de Buchenwald-Weimar.
Ils ont été arrêtés par des Français faisant partie de la gestapo ? Ces mêmes individus se faisant passer pour la Résistance étaient venus plusieurs fois dans quelques maisons demandant du ravitaillement pour leur groupe et à la mairie où sous la menace du revolver avaient obligé le secrétaire à leur remettre les cartes d’alimentation.
Ces Français de la gestapo sont venus arrêter nos cinq administrés en les accusant de complicité avec la Résistance. »
Le texte qui suit est un témoignage d’un des compagnons de Maurice Vanovershelde extrait de l'ouvrage
Un pas, encore un pas… pour survivre, publié par l’Amicale des anciens déportés à Neu-Stassfurt.
« Maurice Vanovershelde avait remarqué tout autour des villages de Bacouël, le sien, et de celui de Tartigny, le plus proche, une intense activité de soldats armés arrivés en camion, ils semblaient se rassembler aux abords des deux bourgades. Ils ont sans doute entendu dire qu'il y avait des maquisards.
Le bruit courait depuis quelques semaines qu'un maquis s'était constitué dans la région, formé de résistants venus du Nord ou de Normandie, dans le but d'empêcher les Allemands d'apporter des renforts à leurs troupes et de les harceler dans leurs divers mouvements. Deux maquisards poussaient l'audace jusqu'à venir, dans une vieille traction, solliciter les cultivateurs de la région pour qu'ils leur procurent du ravitaillement... Malgré les risques encourus, tous les fermiers, à qui mieux mieux, et gratuitement fournissaient pommes de terre, viande, pain, cigarettes, légumes et même des habits…
Un matin, Georges Vandewiele voulut engranger du colza, dans un hangar situé à l'extrémité de la commune, un gars en sortit et lui dit:
- Qu'est-ce que tu viens faire ici ?
- Mais, dit Georges, je suis le propriétaire du hangar. Et toi qui es-tu ?
- Je suis avec un groupe de résistants. On fuit les Allemands, on s'est réfugié ici. Georges dit : « Ne restez pas là, c'est trop dangereux, vous êtes en bordure de la route où passent sans arrêt les troupes allemandes. Et tout près du village. Vous risquez d'être pris et d'entraîner des représailles. On va essayer de vous cacher ailleurs. Attendez, je vais m'en occuper »
Georges alla trouver Moreau qui eut une idée : « Si on les cachait dans la petite cabane de chasse à deux kilomètres d'ici ? ». Mais il fallait prendre des précautions. Pas question de circuler de jour avec le groupe. On attendit 2 heures du matin. A travers champs, Georges et Moreau amenèrent les résistants à la cabane. Manque de chance, elle était fermée à clef. Un habitant du village la détenait. Georges et Moreau décidèrent d'aller le trouver et de lui expliquer. Mais celui-ci ne l'entendit pas de cette oreille et refusa de partager une telle responsabilité. En désespoir de cause, les résistants se réfugièrent dans les bois. Il y avait aussi, cachés dans la région, une quinzaine de parachutistes anglais. Debellemanière, ouvrier agricole travaillant chez Georges, en avait recueilli deux chez lui. Les autres étaient dispersés dans les bois.
Ainsi se présentait la situation de ces deux petits villages picards à la veille de la Libération : d'un côté des résistants et des aviateurs cachés dans la région, de l'autre des paysans, faisant la conspiration du silence, et les aidant de tous leurs moyens. Les Allemands pouvaient défiler à longueur de journée, sur la route nationale séparant les deux villages, ou même les traverser, sans rien soupçonner de ce qui se tramait dans l'ombre. Mais personne ne se doutait que les Allemands étaient au courant de tout, grâce à la complicité et à la trahison de deux Français.
Depuis quelques jours déjà, Alfred Vandewiele avait senti s'éveiller ses soupçons. Ces deux gars en traction, qui, au nez et à la barbe des Allemands, venaient chaque jour chercher habits, cigarettes et ravitaillement, ne lui disaient rien qui vaille. Quand on est résistant, on ne se promène pas ainsi au grand jour et, qui plus est, avec des armes. Ne les avait-il pas aperçus un soir, à la sortie du village, mitraillettes apparentes, discuter avec des Allemands ? Non vraiment, tout cela n'était pas normal. Les événements prédits par Maurice Vanoverschelde allaient bien se dérouler, mais tout autrement qu'il ne s'y attendait. Car il allait être lui-même un des acteurs du drame. Et plus tôt qu'il ne pensait. Car c'est le soir même que tout allait se jouer.
Il était 21 heures passé, à cette époque de l'année il faisait encore jour, quand la traction des deux soi-disant résistants arriva lentement au village de Bacouël. Mais cette fois ils n'étaient pas seuls. Les Allemands, à qui ils indiquaient la route, les suivaient. La première halte fut pour la ferme Vanoverschelde. Villette, c'est le nom d'un des deux traîtres, avait même eu le front de s'habiller avec le costume de marié donné par Maurice Vanoverschelde. Toute résistance était inutile. Toute dénégation impossible. Maurice comprit alors combien il avait été dupe, que tout le ravitaillement qu'il avait donné, lui et les autres, n'avait profité qu'à deux traîtres, et qui plus est, devenait la preuve de son affiliation à la Résistance.
On devait apprendre plus tard que Villette et son acolyte Cochemez (ndlr : en réalité Cauchemez) vendaient au marché noir à Beauvais tout ce qu'on leur donnait. Ils devaient en outre toucher 20.000 F de l'époque par patriote dénoncé et arrêté. Sous les cris et les hurlements de la soldatesque, Maurice fut embarqué. Son fils Julien fut également arrêté et les Allemands lui passèrent les menottes. Courageusement son père se rebella et leur dit en allemand : « Vous n'avez pas honte d'arrêter un gosse de 17 ans? ». Cette attitude désarçonna les Allemands qui le relâchèrent. Ce ne fut pas, hélas, toujours le cas. Car à Tartigny fut arrêté le fils Moreau âgé de 18 ans. Puis, toujours sur les indications des deux mouchards, la rafle se poursuivit dans le village, puis à Tartigny, à Beauvillers, à Chepoix, à Nogent, etc. Enfin dans les bois des alentours.
A Bacouël furent ainsi arrêtés un autre fermier, Defransure, deux commis de ferme, Vittorio Corrent, d'origine italienne et Yves Maréchal, instituteur et secrétaire de mairie qui, pourtant, s'était caché. A Tartigny, la ferme la plus visée était celle des Vandewiele. Toujours précédés des deux traîtres, les Allemands s'y précipitèrent.
Tout le monde était rassemblé car les Allemands avaient au préalable ordonné le couvre-feu. Personne. Il n'y avait plus aucune illusion à se faire. Alfred, toujours sur ses gardes, réalisa vite la situation. Avant que quiconque ne le vit, il ouvrit la porte d'un petit couloir, se précipita dans le jardin et, de là, fonça à travers champs. Georges et Maurice furent immédiatement arrêtés. Ca ne faisait pas le compte, car les Allemands avaient leur liste. Qu'importe, Villette lui-même se précipita au premier étage. Albert était déjà couché. Il le sortit du lit. Ouf ! Le compte y était. Du moins pour les frères Vandewiele, car les Allemands arrêtèrent aussi trois commis : Roger Karol, Debellemanière (qui avait abrité chez lui deux parachutistes) et un troisième. Six personnes sous un même toit ! Quel exploit pour deux traîtres et leurs seigneurs. Pendant ce temps dans le village, la rafle se poursuivait, chez un autre fermier, Moreau, embarqué avec son fils, à la gare où Ange Guérin fut arrêté, et ailleurs encore.
En hâte, dans les cris, les injures et les hurlements, tout le monde fut rassemblé dans un car. Vingt-trois habitants avaient été arrêtés à Tartigny, Breteuil et dans les villages voisins. Par fournées, on les embarqua dans des cars. Le dernier fut Charles Bellemère qui monta à Beauvillers. Il s'installa tout au fond, près d'un carreau ouvert, entre deux gros Allemands somnolents.
A travers les petites routes de campagne, le convoi prit la direction de Beauvais. Champs fleuris de colza ou dorés par les blés mûrissants défilent à travers les vitres, que regardent, inquiets et songeurs, les voyageurs enchaînés. Quand les parcourront-ils de nouveau, à larges enjambées ? Vers quel destin sont-ils embarqués ? Et ce voyage, sera-t-il sans retour?
A présent la nuit est tombée. Les Allemands sont inquiets et nerveux. Ils les ont enchaînés. Seul, Bellemère, dernier monté, est libre de liens. Et près d'une vitre ouverte, des idées d'évasion lui viennent à l'esprit. Il regarde autour de lui, à la fois hésitant et déterminé. Son garde et voisin, écrasé par la fatigue de cette chasse à l'homme, continue à somnoler. Le car aborde un virage dont la sortie est cachée par un petit bois. C'est le moment, l'occasion unique qui ne se reproduira plus. Sans bruit, il escalade la fenêtre. Les pieds, le corps, la tête, il se laisse glisser, puis tomber, s'aplatir au sol quelques secondes, puis se sauve à toutes jambes dans le petit bois. Déjà le car a tourné. L'Allemand n'a rien vu, ni les autres assis devant, occupés à surveiller leurs prisonniers respectifs. Et dans la cohue de l'arrivée au camp Agel à Beauvais, ils ne s'en apercevront pas encore. Ce n'est que cinq jours plus tard qu'ils réalisèrent qu'il leur manquait un prisonnier. Ils ne surent jamais dans quelles circonstances il s'était évadé. Au camp de Beauvais, où se trouvent déjà de nombreux prisonniers, les nouveaux arrivants occupent les places restées libres dans les baraquements. On les a dépouillés de tout : papiers, argent, bijoux. On les interroge successivement. Le père Geffroy est brutalisé et enfermé au secret. Albert Vandewiele a la surprise de voir l'Allemand lui rendre ses papiers, il ne comprend pas. Serait-il libre ? Il sort et se dirige vers la sortie. Mais les autres, dont ses deux frères, se sont regroupés dans la cour. Ils le voient sortir et se diriger vers la grille. « Albert ! Qu'est-ce que tu fais ? Reste avec nous ». Ce doit être une erreur, une fantaisie des Allemands. Qu'y a-t-il à comprendre dans tout ce qu'ils font ? Albert ne fera pas bande à part. Il rejoint le groupe de ses amis. Ce n'est que plus tard, à son retour d'Allemagne, qu'il saura qu'il était libre. Ainsi l'avaient compris tous ceux à qui les Allemands rendaient les papiers. Pourquoi ? Selon quels critères ? On ne le saura jamais. Mais Albert avait, sans le savoir, frôlé la liberté. C'était d'ailleurs une deuxième captivité car, prisonnier, il avait été rapatrié peu de temps auparavant ».
André Cauchemez sera condamné à la Libération. En fuite, Paul Villette sera condamné à mort par contumace.
Raflé de Chepoix
Geffroy Edmond, né le 4 novembre 1885 à Coullemelle, agriculteur domicilié à Chepoix, déporté à Buchenwald et Neu-Stassfurt, libéré le 8 mai 1945.
Raflés de Bacouël
Maréchal Yves, né le 1er avril 1916, instituteur et secrétaire de mairie, déporté à Buchenwald et Neu-Stassfurt, décède le 17 avril 1945.
Defransure Fernand, né le 26 mai 1895 à Breteuil, cultivateur, mort à Marienbourg le 25 mai 1945.
Vanoverschelde Maurice, né le 23 août 1897, cultivateur d’origine belge, déporté à Buchenwald et Neu-Stassfurt, décède le 16 avril 1945.
Degouy Gaëtan, né le 19 mai 1906, laitier.
Corrent Vittorio, né le 18 septembre 1899, garçon laitier d’origine italienne, déporté à Buchenwald et Neu-Stassfurt, décède le 31 janvier 1945.
Raflés de Tartigny
Bagar Karol, né le 14 janvier 1921 à Sulini (Yougoslavie), ouvrier agricole, déporté à Buchenwald et Neu-Stassfurt, décède le 30 mars 1945.
Debellemanière Adrien, né le 29 avril 1918 à Rainvillers, ouvrier à Tartigny, résistant isolé, déporté à Buchenwald puis Neu-Stassfurt.
Guérin Saint-Ange, né le 18 mars 1896 à Ressons-sur-Matz, éleveur domicilié à Tartigny, déporté à Buchenwald puis Neu-Stassfurt où il décède le 29 janvier 1945.
Moreau Fernand, né le 31 août 1892 à Mazières, instituteur et maire de Tartigny, déporté à Buchenwald et Neu-Stassfurt, décède le 9 avril 1945.
Moreau Pierre, né le 11 décembre 1918 à Tartigny, élève instituteur, déporté à Buchenwald et Neu-Stassfurt, décède le 19 avril 1945.
Vandewiele Albert, né le 25 février 1916 à Kerkhove (Belgique), déporté à Buchenwald puis à Neu-Stassfurt, libéré le 8 mai 1945.
Vandewiele Georges, né le 5 février 1902 à Berchem (Belgique), déporté à Buchenwald et Neu-Stassfurt, libéré le 8 mai 1945.
Vandewiele Maurice, né le 9 février 1904 à Berchem (Belgique), agriculteur à Tartigny, déporté à Buchenwald puis à Neu-Stassfurt où il décède le 17 avril 1945.