Socio-Sovietiques

Les Soviétiques dans l'Oise
par Jean-Pierre Besse et Jean-Yves Bonnard

En juin 1941, les autorités recensent soixante et un ressortissants soviétiques dans le département de l’Oise. Après l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, ces ressortissants et les prisonniers de guerre sont regroupés et travaillent pour les Allemands au déblaiement des ruines provoquées par les bombardements. D’autres, issus de l’armée du général Vlassov rallié à Hitler en 1942 comme antistalinien, rejoignent l’armée allemande et sont présents à Compiègne.


Le camp du Moineau, à Bury
Ce camp de prisonniers soviétiques est installé à Bury, dans le hameau de Bérard après juin 1941. Les Allemands emploient cette main d’œuvre aux travaux de déblaiement rendus nécessaires par les bombardements alliés sur la gare de Creil et ses alentours.

L’entrée dans la Résistance
Les Soviétiques qui participent à la Résistance dans l’Oise sont des évadés des lieux de détention de l’Oise ou d’autres régions. On en trouve trace dans tout le département, travaillant clandestinement pour des forestiers, des agriculteurs, cachés par des particuliers ou par la Résistance, individuellement ou en groupe. Des Soviétiques sont ainsi mentionnés à Précy-sur-Oise, Saint-Vaast-Lès-Mello, Thiers-sur-Thève, Saint-Sauveur, Néry...
A Compiègne, le Mouvement Ouvrier International (MOI), fondé par Manouchian et rattaché au FTP, désigne André Poirmeur « pour entrer en relation avec les étrangers, connaître leur opinion et si possible les recruter et combattre la propagande ennemie » mais aussi « récupérer les prisonniers soviétiques évadés lors des bombardements massifs » notamment sur Saint-Léger, Creil et Saint-Leu-d’Esserent.
A Senlis, le russophone André Folliot (FN) assure la même mission. En effet, dans le Creillois, la plupart des résistants soviétiques sont des évadés du camp du Moineau. Aidés par la population, des résistants (comme André Folliot) et des Russes blancs (comme Serge Lubanoff), certains sont pris en charge par les FTP qui les dispersent ensuite, en particulier dans la région de Crépy-en-Valois.

Le maquis de Marquéglise
Dans le Compiégnois, les résistants parlent surtout des Arméniens. Charles Barriquand mentionne d'ailleurs la création, sous sa direction, d'un maquis des Arméniens proche de celui de Rimberlieu. André Poirmeur évoque la présence d’un détachement de prisonniers soviétiques d’origine arménienne installés dans le château de Marquéglise lui-même propriété d’un Arménien. Ce groupe, auquel appartient Alexandre Pachinian, mène des actions de harcèlement contre les Allemands et doit livrer de sérieux combats au cours desquels huit soviétiques sont tués. Leurs corps ont été détruits par la chaux par les Allemands.

Le détachement Jaguar à Mouy
Ce détachement FTP est issu du groupe international de francs-tireurs formé par Michel Legrand, alias Edouard, réunissant des Français, des Espagnols, des Estoniens, des Polonais, des Russes et des Allemands.
Dans la nuit du 27 au 28 mai 1944, quatre évadés d’un camp de prisonniers du Moineau, Vassili Mehckov, Anatoli Ababkov, Mikhaïl Mikhleson et Fedor Nevedomski, trouvent un hébergement chez Serge Lubanov, émigré russe à Mouy depuis 1935, lequel les conduit à Legrand et leur sert d’interprète.
Ce dernier forme le 9 juin dans une forêt près de Montataire plusieurs détachements dont le groupe Jaguar, composé d’une soixantaine d’hommes placés sous les ordres du commandant Mechkov et encadrés par le capitaine Serguei Sorokine et le sous-lieutenant Anatoli Ababkov.
Le détachement Jaguar trouve des armes en attaquant des Allemands, puis réalisent des sabotages sur les lignes téléphoniques et télégraphiques, les voies ferrées, les ponts, les routes dans les environs de Montataire, Mouy, Creil, Beauvais, Clermont et Compiègne. Il est à l’origine du sabotage d’une station de téléguidage près de Clermont en août 1944, comme le rappelle André Poirmeur : « Un soir, après cinq heures de marche, les 42 hommes de ce détachement armés de mitraillettes, de grenades, de couteaux et de plastic, sabotèrent les communications avec l’extérieur d’une station de téléguidage de V1 et de V2 installée près de Clermont. Supprimant les sentinelles, puis le corps de garde qui occupait le blockhaus, les Soviétiques partant à l’assaut franchirent un énorme remblai, pénétrèrent à l’intérieur de l’immeuble, mais se heurtèrent aux chiens qui donnèrent l’alarme et les mordirent cruellement. Les Allemands, surpris dans leur sommeil, cherchèrent le salut en sautant par les fenêtres et tombèrent parmi les assaillants. Au cours d’un sanglant corps à corps, la plupart des Allemands furent tués par balle ou à l’arme blanche (le couteau ou le rasoir), et la station complètement anéantie ».
Fin août 1944, trois jours avant l’arrivée des troupes alliés, le détachement Jaguar libère Mouy et le camp du Moineau.

Saint-Germain-la-Poterie : maquis ou camp de prisonniers ?

Une première version présentée par Jean-Pierre Besse après un entretien à Louis Dalmas de Polignac en octobre 2007 laisse supposer que ce dernier aurait formé un maquis de Soviétiques dans la ferme que possède son beau-frère à Saint-Germain-la-Poterie. Selon Yves-Marc Ajchenbaum, Daniel Nat s’y autoproclame capitaine et Louis Dalmas lieutenant (voir photographie ci-contre). A la Libération, le drapeau rouge agrémenté d'une faucille et d'un marteau flotte à l'entrée de la propriété, une pancarte en russe indique "Ici territoire soviétique". Quelques jours après la Libération, la brigade de gendarmerie d'Auneuil signale qu'il y a là soixante-deux hommes, six Espagnols et cinquante-six Soviétiques.


Une autre version, plus probable, est présentée par Frédéric Charpier dans son Histoire de l’extrême-gauche trotskiste. Il y fait état de l’existence d’un camp de détention où les Allemands ont « parqué pêlemêle, au camp de Beauregard, des femmes, des enfants, des civils, des militaires, russes, ossètes, tcherkesses et d’autre nationalités encore ». Selon lui, ce camp est à l’origine d’un regroupement plus massif à la Libération : « Mais en ce mois de septembre 1944, que faut-il faire de ces prisonniers que les Allemands ont laissés derrière eux ? Les autorités françaises décident de les confier à Louis Dalmas. Vika, la femme de Daniel Nat, un des piliers de la communauté, et Ida, l’épouse de Claude Bourdet, l’un des chefs du mouvement Libération, sont mises à contribution. Elles parlent le russe, et da occupe même des fonctions de premier plan au sein de l’organisme gouvernemental chargé des prisonniers de guerre et des déportés. Une centaine de « soviétiques » dépendent maintenant de Dalmas. Ils viennent s’installer à Saint-Germain-la-Poterie. Parmi eux, trois seulement fréquentent les Français ; le tcherkesse Sermian, un colosse à la force herculéenne, Baranov, un médecin mélancolique, et Victor Vycherski, un jeune ouvrier métallurgiste de Léningrad et komsomol, membres des jeunesses communistes soviétiques. Le « château » de Louis Dalmas ressemble de plus en plus à un phalanstère ou à une brigade internationale en miniature si on ajoute aux Russes le Luxembourgeois Pierre et les deux Espagnols, qui ne doivent qu’à Louis Dalmas d’être encore à Saint-Germain-la-Poterie (…) Louis Dalmas préside une sorte de République soviétique miniature. La nourriture est fournie par la subdivision militaire de la région. Dalmas et De Sède occupent la centaine de Russes, d’Ossètes et de Tcherkesses à des travaux de déboisement et d’électrification. Pour le reste, les Soviétiques ont toute latitude pour s’organiser entre eux. Leur chef « autoproclamé » est un certain major Mechkov, qui a aménagé dans la cave une prison ! Cest des premières mesures qu’il a prises. La seconde a été d’inviter Dalmas et De Sède à lever un verre à la révolution d’Octobre. Un verre rempli d’un sévère tord-boyaux composé d’essence et de pommes de terre fermentées. »


Les combats de la Libération

Lors de l'accrochage du 14 juin 1944 dans la région d’Attichy, l'un des transporteurs d'armes est un soviétique.
Le 26 août 1944, Alexei Paskomokov est tué dans les combats. Son corps est inhumé dans le cimetière de Senlis.
Le 31 août, le soviétique Alexis Derevinsky, lieutenant FTP de 28 ans passé au maquis, est tué au Bois de l'Isle-Néry, à Saint-Sauveur. Son corps repose dans le cimetière communal.

Le même jour, à Orrouy, le soviétique Alexis Kalabuchin est passé par les armes par les Allemands. Né à Bassow (Russie) en 1918, ce prisonnier de guerre s'évade d'un train entre Longueil-Sainte-Marie et Ormoy-Villers. Recueilli à la Ferme Meignan avec trois autres soviétiques, il était parvenu à s'enfuir de sa cache après avoir été dénoncé mais avait été repris par l'occupant. Son corps repose dans le cimetière communal d'Orrouy.

Le 2 septembre suivant, le soviétique Piotr Braje (ou Brage), né à Gorki en 1916, est tué à Thiescourt par des soldats allemands cachés dans une cave du village après avoir salué avec d'autres jeunes le passage des Américain. Son corps est inhumé dans le cimetière de Thiescourt (photo ci-jointe). Sa sépulture est entretenue par la commune.

Après la Libération, deux corps non identifiés dont les actes de décès mentionnent qu'ils semblent être de nationalité arménienne, ont été retrouvés au lieu-dit Le Marais, à Bienville et à Clairoix. Découverts sans armes chez des habitants, ils ont été martyrisés et fusillés.

Il faut aussi noter la mort à Brocquiers, le 31 août 1944, du Russe Jaranow Anizim, né près de Stalingrad le 13 février 1900 et noté mort au cours de la Libération de la France sous l'uniforme de la Wehrmacht.

Tombe de Piotr Brage à Thiescourt (cl. JYB).

Peu après la Libération, Saint-Germain-la-Poterie devient le lieu de regroupement des soviétiques dont le nombre avoisinera 600, formant pour les autorités une inquiétante « république soviétique de Saint-Germain-la-Poterie ». Le 11 novembre 1944, une délégation défilera dans Beauvais comme l’évoque Frédéric Charpier : « Lors des cérémonies organisées par la ville de Beauvais pour fêter sa libération, les Picards auront droit à une surprise de taille, que leur ont concoctées Dalmas et De Sède. Les Russes de Saint-Germain-la-Poterie défilent, en ce jour de fête, sous les yeux médusés de l’assistance. Ils paradent dans les rues attifés d’uniformes kaki récupérés dans le stock qu’a laissé l’organisation Todt derrière elle, et coiffés de casques italiens sur lesquels a été peinte à la hâte une étoile rouge. »
Les photographies prises sur jour-là montrent des soldats bottés, habillés d'une capote avec ceinturon et couvert d'un béret. Le lieutenant Polignac est noté "commandant du camp soviétique de Saint-Germain la Poterie" à la date du 28 novembre 1944. Il reprend ses activités parisiennes courant 1945.

Par la suite, le camp est commandé par le lieutenant Lucien Desmarest, âgé de 42 ans. Le camp de Saint-Germain-la Poterie est dissous le 17 mars 1945. Ses  occupants sont tous envoyés dans le camp de Chateaufer (Cher), à 3 Km de Saint-Amand-Montrond. Un détachement commandé par le capitaine Soroukine est resté jusqu'au 22 mars suivant pour remettre en état les lieux.

Certaines sources indiquent que les soviétiques de Saint-Germain-la-Poterie seront regroupés à la caserne Hoche à Grenoble pour rejoindre l’URSS, conformément à l’accord de Moscou du 29 juin 1945.

Le cimetière soviétique de Noyers-Saint-Martin

Inauguré en 1981 sur le site de l'ancienne base de transmissions de l'armée de l'air de Noyers-Saint-Martin, ce cimetière militaire soviétique de 16 591m² contient 4598 corps de soldats soviétiques tombés sur le sol français durant la Seconde Guerre mondiale.

Ce cimetière de regroupement des sépultures soviétiques, créé par arrêté du 22 juillet 1980, rassemble des dépouilles de soldats de l'ancienne URSS (Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Russie, Tadjikistan, Ukraine) des cimetières du Nord et de l'Est de la France, principalement d'Alsace et de Lorraine (stalag XII-F du camp de Ban-Saint-Jean).

Pour la plupart anonymes, ces dépouilles reposent dans des sépultures individuelles pour 78 d'entre elles, les autres ayant été placées dans trois ossuaires. Sur l'ensemble, 4000 corps n'ont pu être identifiés.

En 2001, le monument commémoratif "Les Fleurs de la liberté" conçu par Vladimir Surovtsev est érigé dans le cimetière.

En 2006, six soviétiques exécutés au camp de Souge par les Allemands ont pu être retrouvés et leurs tombes placées côte à côte avec une plaque commémorative.

Une cérémonie commémorative y est organisée aux environs du 8 mai en présence des représentants français et des pays de l'ex-URSS.

Cérémonie à Noyers-Saint-Martin le 7 juin 2014 : les drapeaux des pays de l'ex-URSS, hormis l'Ukraine (cl. JYB).

Cérémonie à Noyers-Saint-Martin le 7 juin 2014 : gerbe de fleurs et drapeau de l'Ukraine à part (cl. JYB).

Sources :

Archives ANACR-Oise - SHGN, 1939-1945, 60 E, 60 E 210- 60 E 91- 60 E 207- 60 E 357- 60 E 209- 60 E 94- 60 E 173, 174- 60 E 219- 60 E 180, 015 312, rapports de la Gendarmerie nationale, département Oise - Arch. Départ. Oise, 33 W 8253 1, 34W9 - ANACR-Oise, Ils ont fait le sacrifice de leur vie, le prix de la liberté dans l'Oise, 1940-1945, Balinghem, ANACR-Oise, 2002, 264p.

AJCHENBAUM Yves-Marc, A la vie, à la mort : histoire du journal « Combat », 1941-1974, 1993.
COUDRY Georges,
Le regroupement des ressortissants soviétiques en France à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, L’accord de Moscou du 29 juin 1945, in guerres mondiales et conflits contemporains, n°177, PUF, 1995.
PAVLOKA Anastasia,
Les Russes et les Soviétiques en France durant la Seconde Guerre mondiale : entre collaboration et résistance, Histoire, 2015, dumas-01256694.
POIRMEUR André,
Compiègne, 1968.

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