Trahisons_Résistance

Les trahisons dans la Résistance oisienne

par Jean-Pierre Besse, notice créée le 20 juin 2003

mise à jour par Jean-Yves Bonnard le 7 avril 2024


Résister comporte beaucoup de risques, sans oublier ceux auxquels le résistant expose sa famille et son entourage.
L'arrestation et la torture conduisent parfois des résistants à parler, à livrer des pistes, voire des noms. Mais l'arrestation peut aussi conduire à la trahison en échange d'une libération. Il convient de ne pas confondre cette situation avec l'infiltration, c'est à dire l'entrée dans un réseau ou un mouvement avec la volonté, dès le début, d'aboutir au démantèlement de l'organisation dans laquelle on vient d'adhérer pour le compte des Allemands ou de Vichy, comme c'est le cas dans l'Oise pour le Bataillon de France. Les trois cas de trahison repérés indéniablement dans le département sont le fait de résistants authentiques ayant à un moment ou un autre, pour des raisons diverses, choisi un jour la voie de la dénonciation.


Le cas de Robert Frotte, alias Breton
Au niveau le plus élevé, c'est le cas du responsable du BOA dans l'Oise "Breton". Originaire de Bretagne où son père a occupé la charge de maire d'une ville importante, Robert Frotte a été parachuté en France puis nommé en juin 1944 à la direction du BOA départemental, en sommeil depuis les arrestations de Roland Delnef et Robert Belleil. "Breton" est présent lors du parachutage de Fouilleuse, dans la nuit du 5 au 6 juillet 1944, il est arrêté à Paris le 8 juillet. Le 12 juillet, accompagné d'un camion, de deux tractions et de dix-sept hommes armés, il récupère, sous la menace, les armes des parachutages antérieurs reparties dans différentes caches. Il poursuit ses contacts avec les dirigeants nationaux du BOA qui, avertis par les résistants oisiens, coupent tous contacts et laissent l'état-major départemental exécuter "Breton", le 5 août 1944.

Deux de ses complices appartenant à "la bande des Saussaies" sont condamnés à mort à la Libération.


Le cas d'Adrien Souris

Le deuxième cas est celui d'Adrien Souris, un jeune de Noyon fils de gendarme, participant à des actions dans la Résistance. Arrêté par le SD, il est convaincu de livrer ses camarades contre de fortes sommes d'argent. Il est à l'origine des arrestations de la mi-juillet à Noyon et de la rafle de Caisnes. Des résistants noyonnais décident de mettre fin à ses méfaits. Prenant une traction-avant noire similaire à celle du SD (dont la plaque d'immatriculation), ils se rendent au domicile de Souris qui s'engouffre dans la voiture sans se méfier. Pris sur le vif, il est conduit en voiture à Dreslincourt puis à pied dans les carrières souterraines proches des Cinq Piliers. Attaché et dévêtu, il est interrogé, jugé et exécuté par ses anciens camarades le 18 août 1944. Son corps n'est retrouvé qu'en 1955 sous un amas de pierres. Après-guerre, une plaque est apposée dans la gare de Noyon à son nom par des agents SNCF croyant leur collègue mort en héros. Les résistants de la SNCF se sont empressés de la faire enlever.


Le cas d'Anicet Deilhes, alias Remi et Raoul

Le troisième cas est celui de "Rémi" ou "Raoul", à l'origine des arrestations qui frappent le Front national (FN) début juillet à Beauvais et Saint-Just-en-Chaussée. Né le 4 février 1920 à Oudeuil, Anicet Delhes est élevé par son grand-père, Paul Gense, à Troissereux. Charretier de profession, il travaille dans des fermes de Fouquenies comme ouvrier agricole. Le 28 juin 1939, il épouse Anna Hacajovo à Fouquenies laquelle lui donne deux enfants, le premier en 1941, le second en 1943. Les services de police l'arrêtent pour marché noir. Il est condamné le 26 novembre 1941 à deux mois de prison pour vol.

Entré dans le groupe FTP Jacques Bonhomme sous le pseudonyme de Raoul (matricule 2018), il participe à plusieurs actions de Résistance à partir de juin 1943, dont le vol de tickets de rationnement dans des mairies et des bars-tabac, ainsi que l'incendie des cuves d'alcool de la distillerie de Wavignies. Il obtient une nouvelle identité, Pierre Nugues, né à Château-Thierry en 1917, il semble entrer en clandestinité. S'il ne revoit plus sa famille à partir de juin 1943, il est arrêté une nouvelle fois le 7 juillet suivant et très rapidement relâché. Anicet Deilhes entretient une relation adultère avec une femme dont le mari travaille dans la même ferme que lui à Catillon-Fumechon. Toujours actif dans la Résistance, Anicet Deilhes est nommé sergent et chef du groupe de Wavignies à la succession d'Henri Vincenot promu chef de secteur en juin 1944.

Certains rapports laissent penser qu'il a été identifié par les autorités policières. Deilhes est arrêté le 2 juillet 1944 par le SD. Il semble alors mener un double-jeu avec les services de police allemand. Ses camarades se souviennent de sa présence dans la voiture des autorités allemandes lors des arrestations dans les différentes communes les 2 et 3 juillet 1944. Arrêtée ce jour-là, Adrienne Delamarre, agent de liaison des FTP, se souvient l'avoir vu participer aux côtés des Allemands à leurs interrogatoires musclés, armé d'une matraque. Albert Maillard témoigne avoir subit le même sort, frappé par Deilhes qui lui casse des dents et deux côtes. Deilhes est à l'origine de l'arrestation de 24 résistants (dont le marie de sa maitresse) et participe activement aux interrogatoires à Compiègne et à Beauvais. Arrêté par les Allemands à son tour, il est détenu à la caserne Agel de Beauvais où son épouse vient le visiter par deux fois, la dernière le 12 août 1944. Transféré au camp de Royallieu, il est déporté à Buchenwald (matricule 78519) par le convoi du 17 août 1944. A la libération du camp, il est étranglé à l'aide d'une couverture le 3 février 1945 par un déporté russe de la "brigade de nettoyage"  chargée d'exécuter les traitres dénonciateurs. Son décès est confirmé par Auguste Flameych, Marcel Baudoin et Eugène Dupressoir.

Noté disparu, il est condamné à mort le 22 novembre 1945 par la cour de justice d'Amiens.

Sources :
Pichard Michel,
L'espoir des ténèbres, parachutages sous l'Occupation, Vesoul, Erti, 1990, 358 (plus annexes et photographies) - Lucchesi Roland, De l'intérieur vient la force, cahiers de la Résistance et de l'histoire locale dans le Clermontois (1940-1944), Fitz-James, auteur, 1984, 104p - Tabary Laurent, 3 juillet 1944, 2023.

Liens :

  • Les arrestations dans la région de Noyon (juillet-août 1944)
  • Les arrestations dans la région de Saint-Just-en-Chaussée
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